La condamnation à 68 millions d’euros en Espagne pour rupture abusive de proposition d’embauche est-elle possible en France ?

2022-12-12T16:00:23+01:0012 décembre 2022|

La première banque d’Espagne, SANTANDER, a été jugée pour rupture abusive de proposition d’embauche. La justice espagnole a condamné la banque par jugement du 9 décembre 2021, à verser pas moins de 67, 8 millions d’euros au banquier Andrea ORCEL, aujourd’hui Directeur Général de la banque UNICREDIT :

  • 17 millions d’euros au titre de la prime d’arrivée
  • 35 millions d’euros au titre de la clause de rachat
  • 5,8 millions d’euros d’indemnité équivalent à deux ans de salaire
  • 10 millions d’euros d’indemnité au titre du préjudice moral et atteinte à sa réputation

En septembre 2018, la banque Santander a annoncé la nomination d’Andrea ORCEL au poste de Directeur général et lui a remis une « lettre de proposition d’emploi » de quatre pages prévoyant les clauses du contrat de travail.

Après plusieurs mois de négociation et un désaccord sur la rémunération du banquier, la banque espagnole a choisi de rétracter sa proposition, ce qui a mené Andrea ORCEL à saisir les tribunaux compétents pour « rupture du contrat ».

Le juge espagnol a considéré que « Le contrat a été résilié unilatéralement et arbitrairement par Banco Santander » et que « La situation créée par Banco Santander a causé à Andrea Orcel un préjudice moral évident ».

Cependant, cette condamnation pour rupture abusive de proposition d’embauche espagnole est-elle transposable en Droit français ?

Pour répondre par la négative à cette question, il faut :

  • s’intéresser à l’acte juridique qu’est « la lettre de proposition d’emploi» et comprendre s’il s’agit d’une promesse ou d’une offre
  • connaitre le régime juridique applicable
  • analyser et comparer les sommes octroyées entre les jurisprudences espagnoles et françaises

 

La différence entre l’offre et la promesse d’embauche en Droit français

En l’espèce, la problématique a été de déterminer quelle était la qualification juridique de la proposition d’emploi. Le juge espagnol a considéré que cette proposition valait contrat de travail entre les parties et de ce fait, que l’employeur avait résilié unilatéralement le contrat.

En Droit français, l’analyse juridique aurait été différente.

En effet, l’ordonnance de 2016, relative à la réforme du droit des obligations (Ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016) a permis à la Cour de cassation d’opérer un revirement de jurisprudence et de modifier son appréciation des propositions d’embauches en distinguant l’offre d’embauche de la promesse d’embauche (Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-20.103 et n°16-20.104).

L’offre de contrat de travail requiert la présence de deux éléments cumulatifs :

  • les éléments essentiels du contrat de travail (l’emploi, la rémunération, la date d’entrée en fonction)
  • la volonté de l’employeur de s’engager selon les termes convenus, en cas d’acceptation du salarié.

A défaut, la proposition s’analyse en une simple invitation à entrer en négociation, la volonté claire et non équivoque de l’employeur de recruter le salarié n’étant pas avérée.

Contrairement à l’offre, la promesse d’embauche est un contrat. Celle-ci doit également contenir les deux éléments cumulatifs susmentionnés mais elle doit aussi faire l’objet d’un accord de volonté entre les parties.

Concrètement, la promesse d’embauche est un contrat à part entière qui doit être signé par les deux parties. La signature du salarié bénéficiaire ne signifie pas qu’il consent à lever l’option et donc à être embauché immédiatement, mais qu’il accepte d’être bénéficiaire d’une promesse d’embauche. Il pourra ensuite lever l’option dans le délai qui lui est imparti.

Le document remis au banquier, en guise de proposition d’embauche, n’était pas un contrat à part entière. En conséquence, contrairement au juge espagnol, le juge français n’aurait pas pu qualifier la proposition d’embauche de contrat de travail. Selon les éléments de la lettre, celui-ci aurait certainement opté pour l’offre d’embauche.

 

La rupture de proposition d’embauche

Le juge espagnol, ayant considéré qu’un contrat de travail avait été convenu, la rétractation de la banque a été analysée en une rupture du contrat de travail.

En droit français, la rétractation fautive d’une promesse d’embauche s’analyse toujours en une rupture fautive du contrat de travail.

En revanche, la rétractation fautive d’une offre d’embauche n’ouvre droit pour le destinataire de l’offre qu’à des dommages et intérêts pour le préjudice subi. Cependant, l’indemnité ne pourra jamais comprendre la perte de chance de réaliser les gains escomptés du contrat de travail.

En France, le banquier s’estimant lésé n’aurait pu obtenir que des dommages et intérêts pour rupture fautive de l’offre d’embauche et, par conséquent, les sommes octroyées auraient été bien plus modestes.

 

Les sommes exorbitantes inégalables en France

La condamnation au paiement de 67,8 millions d’euros parait extraordinaire, notamment pour un pays européen mais aussi au regard du droit français.

En effet, il n’y a pas de précédent devant le juge prud’homal français d’une telle condamnation relevant d’une simple rupture abusive de proposition d’embauche ou bien même d’une promesse d’embauche.

En France, les indemnités sont souvent plafonnées ou limitées, c’est notamment ce que prévoit le « barème Macron » en cas de licenciement abusif. L’indemnité se calcule en fonction de l’ancienneté et le maximum prévu pour une ancienneté de 30 ans et plus, est une indemnité de 20 mois de salaire brut.

Or, la rupture abusive de proposition d’embauche du banquier lui a permis d’obtenir 5,8 millions d’euros, l’équivalent de 2 ans de salaire, soit 24 mois de salaire brut sans aucune ancienneté !

Aussi, en droit espagnol, comme en droit français, les dommages et intérêts sont octroyés par les juges prud’homaux de façon discrétionnaire, sans plafond. Or, il n’y a pas non plus de décision française ayant octroyé 10 millions d’euros au titre du préjudice moral à la suite d’une rupture de proposition d’embauche.

L’une des plus grosses condamnations, récemment enregistrées en France, est celle de la Société Générale face à son ex-courtier Jérôme KERVIEL, condamnée au paiement de 450.000 euros pour licenciement abusif et propos vexatoires. Somme bien loin des 67,8 millions d’euros, pourtant le courtier disposait d’un contrat de travail et de plusieurs années d’ancienneté.

Par conséquent, l’octroi des 67,8 millions d’euros pour rupture abusive de proposition d’embauche, parait totalement impossible en France, même en présence de poste à haute responsabilité et haut salaire.

 

Notre cabinet d’avocats situé dans les Alpes-Maritimes conseille et défend ses clients pour des affaires de droit du travail. Si vous souhaitez être conseillé ou défendu il vous suffit de prendre rendez-vous.

 

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