Travail temporaire et succession de missions : l’inobservation du délai de carence ne permet pas la requalification à l’égard de l’entreprise utilisatrice

2024-04-08T15:20:51+02:0018 mars 2024|

Le non-respect du délai de carence peut-il constituer un motif de requalification de contrat en CDI ?

Aucune disposition ne prévoit, dans le cas de la succession d’un contrat de travail temporaire et d’un contrat de travail à durée déterminée au bénéfice de l’ancienne entreprise utilisatrice, la sanction de la requalification en contrat de travail à durée indéterminée en cas de non-respect du délai de carence. Un travailleur intérimaire ne peut en conséquence obtenir – à l’égard de l’entreprise utilisatrice – la requalification de contrat en CDI au motif que les missions se sont succédées sans qu’ait été respecté le délai de carence.

Dans ce cas d’espèce jugé par la Cour de Cassation (Soc., 27 septembre 2023, n°21-21.154), un salarié a été mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail temporaire sur le fondement d’un contrat de mission (C. trav., art. L. 1251-11) justifié par un accroissement temporaire d’activité (C. trav., art. L. 1251-6, 2°). Le salarié a effectué plusieurs missions sur une période de trois mois, entre septembre et novembre 2015. À la fin de son dernier contrat de mission, le salarié a conclu un CDD avec l’entreprise utilisatrice pour une durée de trois mois entre novembre 2015 et février 2016.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes contre l’entreprise utilisatrice afin de voir requalifiés ses contrats de mission, conclus entre septembre et novembre 2015, en CDI, d’une part, et son CDD, conclu en novembre 2015 directement à la suite du terme des contrats de mission, en CDI, d’autre part.

Au soutien de sa première demande de requalification de ses contrats de mission en CDI, le salarié reproche à l’entreprise utilisatrice d’avoir cherché, par le biais des différents contrats de mission, à pourvoir durablement un emploi permanent lié à son activité normale. Il est constant que le recours au travail temporaire dans ces conditions expose l’entreprise utilisatrice à la requalification de la relation de travail en un CDI (C. trav., art. L. 1251-40 et art. L. 1251-5).

L’entreprise utilisatrice justifie toutefois de la licéité du recours au travail temporaire au cas particulier en fournissant des éléments pertinents (conclusions de nouveaux contrats de sous-traitance sur divers chantiers, intensification ponctuelle des interventions en plomberie à l’issue de la réalisation des travaux de gros œuvre, etc.). Le salarié est donc logiquement débouté sur ce fondement devant les juges du fond.

La seconde demande du salarié est plus intéressante sur le plan juridique. Le salarié estime en effet que son CDD doit faire l’objet d’une requalification de contrat en CDI au motif qu’aucun délai de carence n’a été observé entre le dernier contrat de mission et le CDD. L’article L. 1251-36 du code du travail impose il est vrai le respect d’un délai de carence à l’expiration d’un contrat de mission, pour recourir à un CDD ou à un autre contrat de mission, afin de pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin. Les juges du fond relèvent toutefois qu’aucun texte ne prévoit, dans le cas d’une succession d’un CTT et d’un CDD au bénéfice de l’ancienne entreprise de travail utilisatrice, la sanction de la requalification de contrat en CDI en cas de non-respect du délai de carence. Le salarié est donc débouté de sa demande de requalification.

La Cour de cassation retient l’analyse des juges du fond et relève que les cas de requalification d’un contrat de mission, à l’égard de l’entreprise utilisatrice, sont visés par l’article L. 1251-40 du code du travail (cas de requalifications automatiques, ou « requalification-sanction »). Constatant que la violation du délai de carence prévu par l’article L. 1251-36 du code du travail n’est pas expressément visé par l’article L. 1251-40 du même code, la Cour de cassation conclut au rejet du pourvoi formé par le salarié et confirme l’arrêt rendu en appel ayant débouté le salarié de sa demande de requalification de contrat en CDI.

La décision de la Cour de cassation était prévisible au regard de la rédaction des textes et de sa jurisprudence. Le salarié conserve toutefois une action en requalification contre l’entreprise de travail temporaire en cas de violation du délai de carence.

 

Le non-respect du délai de carence entre un contrat de mission et un CDD ne permet pas la requalification de contrat en CDI

Le délai de carence entre un contrat de mission et un CDD est un cas qui n’est pas visé aux articles L. 1251-39 (poursuite du contrat de mission sans nouveau contrat) et L. 1251-40 (recours au travail temporaire sans motif légitime, recours au travail temporaire pour pourvoir à un emploi permanent dans l’entreprise, remplacement d’un gréviste, etc.) du code du travail.

De plus, le salarié conserve une action en requalification auprès de l’entreprise de travail temporaire

L’action en requalification du contrat de mission était, au cas d’espèce, dirigée contre l’entreprise utilisatrice exclusivement. Dans le silence de la loi, la jurisprudence admet toutefois que l’action en requalification puisse également être dirigée contre l’entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’œuvre est interdite n’ont pas été respectées (Soc. 19 avr. 2000, n° 97-45.508).

En pratique, l’action en requalification dirigée contre l’entreprise de travail temporaire, portant sur l’exécution du contrat de mission, est quasi indissociable d’une demande indemnitaire fondée sur sa rupture. En d’autres termes, ce que cherchera le salarié ce n’est pas tant de nouer une relation contrainte avec l’entreprise de travail temporaire que d’obtenir d’elle une indemnisation.

Ainsi le salarié est-il fondé à demander la requalification de son contrat de mission en CDI auprès de l’entreprise de travail temporaire en cas de non-respect du délai de carence prévu par l’article L. 1251-36 du code du travail entre plusieurs missions dans la même entreprise utilisatrice (Soc. 12 juin 2014, n° 13-16.362 P).

Cette action permet au salarié de bénéficier d’un débiteur supplémentaire, ce d’autant que la Cour de cassation admet que le salarié puisse demander que les entreprises de travail temporaire et utilisatrice soient condamnées in solidum à réparer le préjudice né de l’effet de cette requalification (Soc. 20 déc. 2017, n° 15-29.519 P, 12 nov. 2020, n° 18-18.294 P).

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 2020, le salarié avait pris soin de scinder son action en requalification contre deux débiteurs distincts : le moyen tiré du non-respect du délai de carence était dirigé contre l’entreprise de travail temporaire (ainsi que l’admet la Cour de cassation, Soc. 12 juin 2014, n° 13-16.362) et le moyen tiré du non-respect d’un motif légitime de recours au travail temporaire (C. trav., art. L. 1251-5 et L. 1251-6) était dirigé contre l’entreprise utilisatrice. L’action en requalification a abouti et les deux entreprises ont été condamnées in solidum à supporter les conséquences de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, à l’exception de l’indemnité de requalification, dont l’entreprise utilisatrice était seule débitrice.

Cette stratégie aurait sans doute été préférable au cas d’espèce : mettre en cause l’entreprise de travail temporaire permet de multiplier les débiteurs, et donc les chances de voir son action prospérer.

 

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