La Cour de cassation a récemment clarifié les contours de ce qu’on appelle les demandes nouvelles en appel dans le cadre d’un litige prud’homal (Cass. soc., 6 nov. 2024, n° 22-17.335). Elle rappelle que toutes les prétentions supplémentaires formulées en cause d’appel ne sont pas automatiquement recevables, même si elles semblent liées au litige initial. Ce faisant, elle met un coup d’arrêt à une lecture trop souple de la notion d’« identité de fins » entre les demandes de première instance et celles soumises en appel.

Une salariée multiplie les demandes : toutes ne sont pas recevables

L’affaire concerne une ancienne responsable RH licenciée en 2018, qui saisit les prud’hommes pour contester les conditions de son licenciement et l’exécution de son contrat. En première instance, elle invoque un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, en lien avec une surcharge de travail et un défaut de contrôle de ses horaires.
En appel, elle élargit ses demandes. Elle réclame notamment le paiement d’heures supplémentaires, des indemnités pour repos compensateurs non accordés, et une réparation au titre du travail dissimulé, en invoquant la nullité de sa convention de forfait jours.

La Cour d’appel accepte les demandes, mais la Cour de cassation les rejette

La Cour d’appel valide ces nouvelles demandes, considérant qu’elles poursuivent la même finalité : la réparation du préjudice subi du fait de l’organisation du temps de travail. Mais la Cour de cassation casse cette décision. Selon elle, les demandes nouvelles en appel – paiement d’heures supplémentaires, repos compensateurs, travail dissimulé – ne visent pas les mêmes fins que la demande initiale en dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité.
Ces demandes ne sont ni l’accessoire, ni la conséquence, ni le complément nécessaire de la demande d’origine. Autrement dit, on ne peut pas les rattacher à la première demande de façon logique ou juridique.

Des objectifs différents, même dans un même litige

La décision met en lumière une réalité : deux demandes peuvent concerner l’exécution d’un même contrat de travail, mais poursuivre des objectifs très différents. L’une peut viser à compenser un préjudice moral ou physique (obligation de sécurité), l’autre à réclamer une contrepartie financière à un travail non rémunéré (heures supplémentaires, repos compensateurs).
La jurisprudence avait parfois accepté de lier certaines demandes entre elles, au nom d’une logique indemnitaire commune. Par exemple, la Cour a déjà admis que des demandes pour licenciement abusif et pour non-reclassement pouvaient être considérées comme tendant aux mêmes fins. Mais ici, elle ferme la porte à un raisonnement trop large autour de l’« identité de fins » et des demandes nouvelles en appel.

Une volonté de recentrer le débat sur le principe du contradictoire

Cette décision s’inscrit dans une volonté de garantir un débat équitable en appel. Si une partie peut introduire en appel des demandes nouvelles trop éloignées du litige initial, elle prive l’autre partie (l’intimé) de la possibilité d’avoir eu un premier jugement sur ces éléments. C’est le respect du double degré de juridiction qui est ici protégé.

Un rappel bienvenu pour les praticiens du droit social

Pour les avocats et juristes en droit du travail, cet arrêt rappelle la nécessité de formuler toutes les demandes dès la première instance. Toute extension du litige en appel doit pouvoir démontrer un lien clair et direct avec les prétentions initiales, sous peine d’irrecevabilité.

Ce recentrage sur l’interprétation stricte des textes (articles 564 et 565 du Code de procédure civile) contribue à stabiliser la procédure prud’homale, tout en fixant les limites de l’« identité de fins » invoquée trop largement par certaines parties — un repère utile pour éviter des demandes nouvelles en appel irrecevables.

Poursuivez votre lecture sur les demandes nouvelles en appel.

La réforme de la procédure d’appel en matière sociale

La nouvelle procédure devant le Conseil de prud’hommes

Fiche pratique des délais de prescription en matière sociale