Enregistrer son employeur : cela constitue-t-il une preuve illicite ?

2021-01-07T11:46:10+01:0022 décembre 2020|

Ai-je le droit d’enregistrer une conversation avec mon patron à son insu ? Cet enregistrement est illégal ou peut-il être utilisé par la suite dans une procédure judiciaire ?

Cette question se pose par une grande majorité des clients qui souhaitent à tous prix trouver un moyen de preuve efficace. La France a une législation très stricte concernant la protection de la vie privée. Mais aussi à l’échelle de l’Union Européenne avec notamment l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui proclame le droit de toute personne au respect « de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » mais organise un régime de restrictions si celles-ci sont « prévues par la loi » et « nécessaires, dans une société démocratique ». Les conversations privées ne peuvent donc être enregistrées qu’avec l’accord des participants et, dans ce cadre, constituer un mode de preuve licite susceptible d’être produit en justice. Toutefois, il peut y avoir des exceptions (abordées ci-après) dans lesquelles l’enregistrement d’une conversation privée effectuée à l’insu de l’un des participant est illicite mais pourrait néanmoins être produit en justice.

Enregistrer son employeur : dans quels cas les pièces peuvent être produites en justice

Nous évoquons ici un thème d’une apparence juridique simple au premier abord mais qui est relativement pratique : dans quelles conditions puis-je utiliser devant les tribunaux, un enregistrement ?

Il faut alors distinguer deux familles : Les Tribunaux civils qui vont regrouper le Tribunal Judiciaire, le Conseil de prud’hommes, le Pôle social …etc. Et puis il y a les Tribunaux pénaux comme le Tribunal correctionnel. Si un enregistrement peut servir de preuve, la valeur de cette preuve s’apprécie de manière assez différente selon que l’on est dans un cadre civil ou dans un cadre pénal.
Il y a un principe devant les Tribunaux civils, qui énonce qu’il n’est pas possible d’utiliser une preuve qui a été illégalement acquise. Ainsi, si l’on démontre que l’enregistrement a été illégalement acquis, on peut interdire à l’adversaire de l’utiliser. On imagine par exemple, que l’enregistrement a servi de fondement d’un licenciement, ce licenciement ne sera donc pas retenu et devient un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En simplifiant, on peut dire globalement que les enregistrements à l’insu d’une personne, effectués pour se ménager une preuve civile ne vont pas être retenus en principe. Précisément, parce que la preuve aura été obtenue de manière occulte sans que les intéressés n’aient été préalablement avisés, c’est le principe général de loyauté des preuves qui prévaut dans la matière civile et de la conséquence de la protection de la vie privée. Ce principe est évoqué à l’article 9 du Code de procédure civile, qui énonce « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

Ceci signifie que tout enregistrement d’une conversation téléphonique ou autre sans l’accord des participant, est illégal et ne peut pas être utilisé dans le cadre d’une procédure judiciaire civile. Si on enregistre une situation au cours de laquelle on est droit d’attendre la protection de la vie privée, on se place sous le coup de la loi et, le cas d’échéant, on est passible de dommages et intérêts. Les enregistrements sont seulement autorisés là où chacun peut reconnaitre qu’il n’y a pas de protection de vie privée. Il en va ainsi si les deux parties savaient qu’elles étaient enregistrées.

Cela étant, il existe un revirement jurisprudentiel très récent découlant d’un arrêt rendu par la Cour de Cassation le 30 septembre 2020, n°19-12.058. Cet arrêt est inédit en ce que, pour la première fois, la Cour de cassation admet que l’employeur se prévale d’informations extraites d’un compte privé Facebook d’une salariée au soutien du licenciement de cette dernière, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

Si on se base sur cette jurisprudence novatrice, on peut, peut être imaginer son application aux enregistrements obtenus déloyalement. Sans nier l’atteinte à la vie privée en résultant, la Cour considère que l’intérêt légitime de l’employeur peut justifier une telle entorse, sous réserve :

  • que les éléments de preuve aient été recueillis loyalement ;
  • que l’atteinte à la vie privée soit proportionnée au but poursuivi par l’employeur ;
  • que la production des éléments soit indispensable à l’exercice du droit de la preuve.

Mis à part cette récente exception, les enregistrements obtenus de manière illicite en matière civile sont interdits et non valables.

L’utilisation d’enregistrements devant les juridictions pénales

Devant les juridictions pénales, on peut utiliser l’enregistrement intervenu à l’insu de la personne concernée et le produire en justice. Cet enregistrement pourra être utilisé par les tribunaux pour qu’ils puissent condamner, éventuellement, un prévenu. En effet, sur le terrain pénal, la chambre criminelle a tendance à considérer la validité de la preuve obtenue de manière déloyale. Cette tendance est ici en effet assez lourde, car toutes les preuves sont bonnes à prendre, notamment à partir du moment où elles mettent en évidence la commission du délit.

Cependant, il y a une petite restriction, selon laquelle un enregistrement illégal pourrait donner lieu à un éventuel risque de plainte pénale pour atteinte à la vie privée ou enregistrement frauduleux.

En effet, l’article 226-1 du Code pénal dispose « qu’est puni d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée, en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel. »

Et s’en suit également l’article 226-2 du même Code, qui précise « qu’est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1. »

Et c’est à l’avocat de peser la balance entre le « pour » et le « contre », entre les avantages que l’on va tirer en produisant cet enregistrement et le risque que l’on prend en délivrant ces enregistrements à la justice.

Lire d’autres articles rédigés par Stéphanie Jourquin, avocat en droit du travail à Nice, au sujet de la défense des salariés :

Sources : 

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