Le salarié réintégré après un licenciement nul a acquis des droits à congés pendant son absence

2020-10-20T13:40:41+02:0020 octobre 2020|

La période d’éviction d’un salarié entre son licenciement jugé nul et sa réintégration peut-elle être assimilée à du temps de travail effectif permettant l’ouverture du droit aux congés payés ?

La CJUE répond par l’affirmative à cette question et remet en cause le droit français (CJUE 25 juin 2020, aff. 762/18, QH c/ Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria et aff. 37/19, CV c / Iccrea Banca SPA Istituto Centrale del Credito Cooperativo).

Le juge européen assimile la période d’éviction à une période de travail effectif ouvrant droit à congés.

Transposant sa jurisprudence relative au travailleur absent pour maladie, la CJUE tranche en faveur de l’acquisition d’un droit à congés payés pendant la période d’éviction :

« L’article 7, § 1, de la directive 2003/88/CE s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n’a pas accompli un travail effectif au service de l’employeur. »

Après avoir rappelé la double finalité des congés, à savoir permettre au travailleur de se reposer par rapport à l’exécution des tâches contractuelles lui incombant, d’une part, et disposer d’une période de détente et de loisirs, d’autre part, ceci présupposant que le travailleur a effectivement travaillé au cours de la période de référence. La Cour rappelle que certaines situations spécifiques permettent de déroger au principe selon lequel les droits au congé annuel doivent être déterminés en fonction des périodes de travail effectif.

Ainsi, lorsque le travailleur est incapable de remplir ses fonctions pour une cause imprévisible et indépendante de sa volonté telle que la maladie, le droit au congé annuel payé ne peut être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé (CJUE 24-1-2012, Dominguez, aff. 282/10 : RJS 4/12 n° 399).

Or, la CJUE constate que, tout comme la survenance d’une incapacité de travail pour cause de maladie, le fait qu’un travailleur soit privé de la possibilité de travailler en raison d’un licenciement jugé illégal par la suite est, en principe, imprévisible et indépendant de la volonté de ce travailleur.

Aussi, la période d’éviction doit être assimilée à une période de travail effectif aux fins de détermination des droits au congé annuel payé. Et s’il est à nouveau licencié, le travailleur peut prétendre à une indemnité compensatrice.

Selon la CJUE, les congés dus au titre de la période d’éviction sont reportables sans limite, sauf si le travailleur a occupé un autre emploi pendant la période d’éviction.

La CJUE admet que le droit national peut limiter le cumul des droits à un congé d’un travailleur en incapacité de travail pour maladie pendant plusieurs périodes de référence consécutives. Notamment, en instaurant, par exemple, une période de report de 15 mois à l’expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s’éteint (CJUE 29-11-2017 aff. 214/16 : RJS 3/18 n° 227). Mais s’agissant du salarié licencié illégalement, cette limitation ne se justifie pas. En effet, selon la Cour, la protection des intérêts de l’employeur ne paraît pas strictement nécessaire et l’employeur qui ne met pas un travailleur en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé doit en assumer les conséquences.

Précision importante ajoutée par la CJUE

Lorsque le travailleur a travaillé pour un autre employeur pendant la période d’éviction, il ne peut revendiquer auprès de son premier employeur des droits à congés payés au titre de la période pendant laquelle il a occupé ce nouvel emploi. C’est en effet le nouvel employeur qui reste redevable des droits à congés correspondant à cette période d’emploi.

La solution retenue par le juge européen met à mal la jurisprudence française en la matière. Suivant la logique d’acquisition des congés payés en contrepartie de l’exécution d’un travail effectif, la Cour de cassation considère en effet, que la période d’éviction du salarié réintégré après l’annulation de son licenciement ouvre droit, non à une acquisition de jours de congés payés, mais à une indemnité d’éviction. Cette indemnité a pour objectif de réparer le préjudice subi par le salarié, en compensant la perte de ses salaires subie entre son éviction et son retour dans l’entreprise.

Mais dans la mesure où le salarié n’a pas travaillé au service de son employeur pendant la période d’éviction, aucun droit à congés payés ne peut lui être ouvert (Cass. soc., 11 mai 2017, n° 15-19.731). La Cour de cassation a récemment réaffirmé que la période d’éviction ne pouvait être considérée comme constituant un temps de travail effectif (Cass. soc., 30 janvier 2019, n° 16-25.672).

La jurisprudence de la Cour de cassation est manifestement contraire à la position du juge européen.

Toutefois, la Haute Juridiction française sera-t-elle tenue de faire évoluer sa jurisprudence sans attendre une modification par le législateur des dispositions de l’article L 3141-5 du Code du travail listant les périodes d’absence assimilées à du travail effectif ? La réponse à cette question est incertaine.

En effet, la directive 2003/88/CE ne permet pas, dans un litige entre des particuliers, d’écarter les effets d’une disposition nationale contraire (Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285), mais, en revanche, l’article 31, § 2, de la charte des droits fondamentaux cité également par l’arrêt de 2020 a un effet direct horizontal et peut donc être invoqué dans un litige entre particuliers aux fins d’obtenir que le juge national écarte la réglementation nationale (CJUE 6-11-2018 aff. 569/16 : RJS 2/19 n° 134).

Or, les enjeux sont d’autant plus importants que le syllogisme permettant au juge européen d’assimiler le salarié illégitimement évincé au salarié malade ne s’applique pas aux conséquences pécuniaires du rétablissement du travailleur dans ses droits. Contrairement au salarié malade, le salarié évincé retrouve tous ses droits à congés sans limitation, aucune période de report ne pouvant lui être opposée.

Source : Navis social

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