La durée du ou des CDD s’impute-t-elle sur celle d’une éventuelle période d’essai d’un CDI postérieur ?

2025-08-05T20:00:34+02:005 août 2025|

Lorsque plusieurs contrats à durée déterminée (CDD) sont suivis par un contrat à durée indéterminée (CDI) entre les mêmes parties, se pose la question de la période d’essai d’un CDI après un ou des CDD : la durée des CDD antérieurs doit-elle réduire l’essai prévu dans le CDI ? La Cour de cassation a récemment rappelé et précisé les contours de cette règle.

L’article L. 1221-20 du Code du travail autorise les parties à un CDI à prévoir une période d’essai librement révocable sans justification. Toutefois, cette liberté est strictement encadrée : elle ne peut être exercée de manière fautive, abusive ou malveillante (v. Soc. 2 déc. 1997, n° 95-41.374). Ce contrôle se renforce lorsque l’essai suit une succession de CDD (C. trav., art. L. 1243-11, al. 3 ; art. R. 1243-2, issu du décret n° 2023-1307).

En l’espèce, une infirmière avait enchaîné trois CDD avec le même établissement médical : du 18 au 31 mai 2017, du 1ᵉʳ au 30 juin 2017, puis du 1ᵉʳ au 30 août 2017. Le 4 septembre 2017, un CDI est signé avec une période d’essai de deux mois. L’employeur rompt cette période moins de deux semaines après, le 17 septembre. La salariée conteste la rupture devant le conseil de prud’hommes, qui lui donne partiellement raison, mais la cour d’appel d’Aix-en-Provence rejette toutes ses demandes.

La cour retient qu’il existait une discontinuité entre certains CDD, excluant la déduction de leur durée totale de la période d’essai, seul le contrat d’août étant pris en compte. La Cour de cassation, dans un arrêt du 19 juin 2024, censure ce raisonnement et clarifie qu’en matière de période d’essai d’un CDI après un ou des CDD , la continuité fonctionnelle suffit : la salariée avait exercé le même emploi (infirmière) dans les mêmes services, sans changement de fonctions. Les interruptions d’un mois et de trois jours n’établissent donc pas de discontinuité réelle.

Ce faisant, la Haute juridiction renverse la logique de la cour d’appel, qui semblait exiger à la fois continuité temporelle et fonctionnelle pour permettre l’imputation. Désormais, l’unité des fonctions prime ; la durée de l’ensemble des CDD doit être retranchée de la période d’essai du CDI lorsqu’il n’y a pas de rupture fonctionnelle.

La jurisprudence avait connu des fluctuations : en 1989 (Soc. 28 juin 1989, n° 86-41.188) et en 1993, la Cour limitait la déduction au seul CDD immédiatement antérieur au CDI. L’argument de « novation » ― supposée rompre juridiquement la relation ― a été rejeté depuis (Soc. 3 oct. 1991, n° 87-41.176). En 2013 (Soc. 9 oct. 2013, n° 12-12.113) la Cour avait semblé écarter le critère fonctionnel, avant de nuancer sa position en 2012 puis, à nouveau, dans la décision du 19 juin 2024.

Le contentieux ne se limite pas à la licéité de la période d’essai. La salariée sollicitait aussi : la reconnaissance d’un CDI depuis le premier CDD, la reconstitution d’ancienneté, la nullité de la rupture (discrimination, harcèlement, liberté d’expression), un licenciement sans cause réelle et sérieuse, des indemnités de préavis et congés payés, ainsi que des dommages-intérêts pour rupture vexatoire ou brutale.

L’article L. 1243-11 ne mentionne aucune exigence de continuité fonctionnelle ; celle-ci résulte d’une construction jurisprudentielle fondée sur la finalité de l’essai : permettre à l’employeur d’évaluer le salarié et inversement. L’arrêt du 19 juin 2024 réaffirme que cette finalité suffit à justifier l’imputation de la durée des CDD sur l’essai, sans nécessité de démontrer une continuité temporelle stricte.

La cour d’appel de renvoi demeure libre d’apprécier en fait et en droit (C. pr. civ., art. 638), mais persister dans l’exigence d’une discontinuité temporelle serait désormais difficilement défendable. La solution adoptée s’aligne sur l’objectif de lutte contre la précarité contractuelle et sur le droit européen : la directive (UE) 2019/1152 exige en effet que les périodes d’essai soient raisonnables (art. 8).

En définitive, la Cour de cassation renforce la protection des salariés contre l’usage abusif de la période d’essai dans les CDI succédant à plusieurs CDD : lorsque l’emploi reste identique, toute la durée des CDD doit être imputée sur la période d’essai d’un CDI après un ou des CDD, même si des interruptions temporelles sont intervenues.

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