Veille juridique

La veille juridique est une veille spécialisée dans le domaine du droit. Elle permet, en fonction de l’actualité, de faire émerger les points importants de l’évolution du droit. En effet, elle prend naturellement en compte les évolutions législatives et règlementaires mais aussi les évolutions jurisprudentielles qui interviennent en les analysant, en faisant apparaître leurs apports et leur intérêt pour le droit.

Identifier les nouveautés importantes pour le droit

La veille juridique va avoir pour mission d’identifier les nouveautés importantes pour le droit, de les traiter, pour en faire ressortir leur impact sur les normes en vigueur et de les diffuser, pour les porter à la connaissance des justiciables.

En effet, elle permet d’anticiper les changements liés à l’adoption de nouveaux textes de loi mais aussi d’anticiper éventuellement l’impact de l’application des normes européennes (directive, règlement et recommandations) et internationales, qui sont parfois invocables directement devant les juridictions nationales.

Se tenir au courant de l’évolution des normes juridiques

En somme, elle permet aux entreprises et aux salariés de se tenir au courant de l’évolution des normes juridiques afin d’identifier les bonnes sources d’informations et de savoir ce qui est permis ou non par le droit en vigueur car selon un célèbre adage : « nul n’est censé ignoré la loi ».

Vous trouverez donc ici, des veilles analysant l’actualité juridique, retraçant les nouveautés importantes sous forme d’une étude ayant pour vocation d’éclairer les justiciables.

Plan de départ volontaire sans licenciement et Contrat de sécurisation professionnelle

 

Lorsqu’un salarié perd son emploi pour un motif économique ou lors d’un plan de départ volontaire, l’employeur doit normalement lui proposer un contrat de sécurisation professionnelle (CSP). Ce contrat permet au salarié de bénéficier d’un accompagnement pour retrouver un travail rapidement (articles L. 1233-66 et L. 1233-67 du Code du travail ; Convention du 26 janvier 2015).

Mais la Cour de cassation a précisé dans une décision du 21 mai 2025 que cette règle ne s’applique pas quand la rupture du contrat de travail se fait d’un commun accord dans le cadre d’un plan de départ volontaire, prévu par un plan de sauvegarde de l’emploi, sans aucun licenciement envisagé (Soc. 21 mai 2025, n° 22-11.901).

Dans l’affaire jugée, une entreprise avait mis en place un plan de départ volontaire, réservé à certains salariés, leur permettant de quitter l’entreprise s’ils avaient une promesse d’embauche ailleurs. Deux salariés ont signé une convention de rupture amiable avec leur employeur. Plus tard, France TRAVAIL a estimé que l’employeur aurait dû leur proposer un CSP, comme si c’était un licenciement, et a demandé une contribution financière.

Les juges d’appel ont donné raison à France TRAVAIL, mais la Cour de cassation n’a pas été d’accord. Elle a rappelé que le CSP est lié à un projet de licenciement économique, et que ce n’était pas le cas ici, car il s’agissait d’un départ volontaire accepté par les deux parties (articles L. 1233-3, L. 1233-66 et L. 1233-67 du Code du travail ; Convention CSP de 2015, art. 1 et 2).

Elle a aussi rappelé que lorsqu’un salarié accepte de partir dans ce cadre, cela ne constitue pas un licenciement, mais une résiliation amiable du contrat de travail. Cela signifie que les obligations liées au licenciement, comme la lettre de motivation ou la proposition de CSP, ne s’appliquent pas (Soc. 2 déc. 2003, n° 01-46.540 ; Soc. 24 mai 2006, n° 04-44.605 ; Soc. 8 févr. 2012, n° 10-27.176 ; Soc. 26 juin 2024, n° 23-15.527).

Cette décision confirme donc qu’un employeur n’a pas à proposer un CSP dans le cadre d’un plan de départ volontaire sans licenciement, même si la rupture du contrat est pour un motif économique. Cela permet de mieux délimiter les cas où le contrat de sécurisation professionnelle est obligatoire, et d’éviter des interprétations trop larges.

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Ancienneté inférieure à un an et indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Quand un salarié est licencié sans motif valable (c’est-à-dire sans cause réelle et sérieuse), la loi prévoit qu’il peut recevoir une indemnité pour licenciement de la part de son employeur (article L. 1235-3 du Code du travail). Mais une question se pose souvent : que se passe-t-il si le salarié a moins d’un an d’ancienneté dans l’entreprise ? Et si cette entreprise est une petite structure, avec moins de 11 salariés ?

Un cas récent a été jugé à ce sujet. Un salarié, licencié pour faute grave, avait travaillé moins d’un an dans une petite entreprise. Il a saisi la justice pour demander une indemnité, estimant que son licenciement n’était pas justifié. Les juges d’appel lui ont alors répondu qu’il ne pouvait rien toucher, car il n’avait pas un an d’ancienneté et l’entreprise comptait moins de 11 salariés (Cour de cassation, Soc. 12 juin 2024, n° 23-11.825).

Mais la Cour de cassation n’a pas été d’accord avec cette décision de la Cour d’appel. Elle a rappelé qu’un salarié, même s’il avait moins d’un an d’ancienneté, peut recevoir une indemnité si son licenciement est jugé injustifié (article L. 1235-3 du Code du travail). Ce droit existe même si le salarié ne peut pas (ou ne veut pas) être réintégré dans l’entreprise (article L. 1235-3 du Code du travail).

La loi prévoit que cette indemnité peut aller jusqu’à un mois de salaire brut pour les salariés ayant moins d’un an d’ancienneté (barème fixé à l’article L. 1235-3 et son tableau annexé, tel qu’issu de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018). Le juge doit en fixer le montant en fonction du préjudice subi, mais cette indemnité ne peut pas être égale à zéro (Soc. 12 juin 2024, n° 23-11.825). Cela vaut pour toutes les entreprises, y compris celles qui comptent moins de 11 salariés, car le plafond prévu dans le tableau s’applique sans distinction (interprétation de la Cour de cassation du même arrêt).

La confusion venait du fait que, dans les tableaux du Code du travail (Le tableau de l’article L. 1235-3 du Code du travail fixe les montants minimum et maximum d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, selon l’ancienneté du salarié et la taille de l’entreprise.) il est écrit « sans objet » pour l’indemnité minimale quand le salarié a moins d’un an d’ancienneté (tableau annexe à l’article L. 1235-3). Et dans le cas des petites entreprises, aucun montant maximum n’est précisé clairement dans ce tableau. Certains tribunaux avaient donc cru que cela signifiait que le salarié ne pouvait rien toucher. Mais la Cour de cassation a clarifié que cette lecture était erronée, car le plafond d’un mois de salaire brut reste applicable même dans ce cas (Soc. 12 juin 2024, n° 23-11.825).

En conclusion, même un salarié avec peu d’ancienneté a droit à une indemnité s’il est licencié sans raison valable (article L. 1235-3 du Code du travail). Cette indemnité, limitée à un mois de salaire brut, doit être décidée par le juge (Soc. 12 juin 2024, n° 23-11.825). Le fait de travailler dans une petite entreprise ne change rien à ce droit.

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CDI intérimaire : un dispositif de protection du salarié intérimaire, et non de flexibilité pour l’entreprise utilisatrice

Lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en violation des dispositions visées par l’article L. 1251-40 du code du travail, le salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière, y compris lorsqu’il a conclu avec l’entreprise de travail temporaire un CDI intérimaire (Cass. soc. du 7 février 2024, n°22-20.258)

Finalité du CDI intérimaire : lutter contre la précarité. Le contrat de travail à durée indéterminée intérimaire a été instauré par un accord de branche signé le 10 juillet 2013, visant à sécuriser les parcours professionnels des salariés intérimaires, et a été étendu par un arrêté du 22 février 2014. Cependant un accord collectif ne pouvant instituer un contrat dérogatoire, tant l’accord collectif que l’arrêté ont été annulés par la Cour de cassation (Soc. 12 juill. 2018, n° 16-26.844) et le Conseil d’État (CE 28 nov. 2018, n° 379677). La loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi a légalisé (sans rétroactivité) et généralisé ce dispositif à titre expérimental, jusqu’au 31 décembre 2018, à l’article 56. La loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, outre une validation rétroactive des contrats « conclus entre le 6 mars 2014 et le 19 août 2015 sur le fondement du chapitre premier de l’accord du 10 juillet 2013 », a pérennisé le dispositif en l’insérant dans le code du travail aux articles L. 1251-58-1 et suivants.

L’objectif, comme souligné dans les travaux parlementaires, est de réduire la précarité des travailleurs intérimaires tout en garantissant une flexibilité pour les entreprises de travail temporaire, sans pour autant accroître la flexibilité pour les entreprises utilisatrices en matière de recours à l’intérim. Lors des débats au Sénat, à la séance du 16 juillet 2018 sur l’amendement n° 649, il a ainsi été rappelé que : « Au-delà du succès du dispositif auprès des acteurs du secteur, son expérimentation a montré que le CDI intérimaire était un contrat gagnant-gagnant : gagnant pour le salarié, qui bénéficie d’un cadre contractuel fixe qui réduit sa situation de précarité et permet d’assurer son employabilité grâce aux formations qui lui sont dispensées ; gagnant pour l’entreprise de travail temporaire, puisque le dispositif lui permet de continuer à offrir à ses clients la flexibilité attendue, tout en répondant à leurs besoins actuels et futurs en termes de compétences ».

Le CDI intérimaire se définit comme un contrat conclu selon les conditions du droit commun entre une entreprise de travail temporaire et un salarié, visant à réaliser des missions successives non prédéterminées auprès d’entreprises utilisatrices. Les périodes d’intermission sont considérées comme du temps de travail effectif, avec une rémunération mensuelle minimum garantie. Cela instaure une relation triangulaire où les entreprises utilisatrices peuvent varier pour chaque mission.

Dans un arrêt du 25 janvier 2023, la Cour de cassation avait déjà refusé le renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la Constitution du dispositif de requalification-sanction prévu en matière de CDI intérimaire (Soc., QPC, 25 janv. 2023, n° 22-40.018). Par cet arrêt du 7 février 2024, c’est la première fois que la Cour de cassation est saisie d’une question sur le fond portant sur les conditions du CDI intérimaire et sur les sanctions applicables, notamment lorsque l’entreprise utilisatrice mobilise un salarié pour un cas de recours illicite. C’est dire l’importance de la solution, pour laquelle sont disponibles le rapport du conseiller et l’avis de l’avocat général sur le site de la Cour de cassation.

 En l’espèce, une entreprise de travail temporaire a mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice un salarié suivant différents contrats de mission temporaire entre les 8 avril et 23 décembre 2015. Puis, le 13 janvier 2016, l’entreprise de travail temporaire et le salarié ont conclu un contrat à durée indéterminée intérimaire avec des mises à disposition successives auprès de la même entreprise utilisatrice entre le 13 janvier 2016 et le 31 mai 2019, puis auprès de deux autres entre les 5 juin et 12 juillet 2019 et entre les 29 juillet et 30 août 2019, en qualité de manutentionnaire. Le salarié a saisi la juridiction prud’homale le 26 septembre 2019 pour obtenir la requalification de ses missions d’intérim en contrat à durée indéterminée auprès de la première entreprise utilisatrice et pour contester la rupture de la relation de travail avec celle-ci. Le 26 novembre 2019, il a été licencié par l’entreprise de travail temporaire.

Condamnée par les juges du fond, l’entreprise utilisatrice a formé un pourvoi en cassation au motif principal que, si les missions effectuées par le salarié dans ce cadre sont régies par les articles L. 1251-5 à L. 1251-63 du code du travail, à l’exception de certaines dispositions parmi lesquelles ne sont pas mentionnées celles de l’article L. 1251-40 du code du travail, la requalification avec l’entreprise utilisatrice est nécessairement exclue dans la mesure où le salarié intérimaire ne peut être lié, pour une même prestation de travail, par deux contrats à durée indéterminée distincts ; à titre subsidiaire, l’entreprise a défendu l’argument selon lequel, à admettre que le salarié lié à l’entreprise de travail temporaire par un contrat de travail à durée indéterminée temporaire intérimaire puisse solliciter la requalification auprès de l’entreprise utilisatrice, le fait, pour celle-ci, de cesser de fournir du travail au salarié au terme d’une mission conclue dans le cadre d’un tel contrat ne peut s’assimiler à une rupture produisant les effets d’un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse. La société soutient qu’un salarié lié par un contrat à durée indéterminée intérimaire avec l’entreprise de travail temporaire ne peut obtenir, à la fois de l’entreprise de travail temporaire et de l’entreprise utilisatrice, les indemnités de rupture et les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en raison des mêmes missions effectuées au sein de l’entreprise utilisatrice.

 La Cour de cassation a rejeté le pourvoi par une motivation particulièrement développée. D’abord, elle reprend et synthétise l’article 56 de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, disposant qu’« une entreprise de travail temporaire peut conclure avec le salarié un contrat à durée indéterminée pour l’exécution de missions successives. Chaque mission entraîne la conclusion d’un contrat de mise à disposition entre l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice, ainsi que l’établissement d’une lettre de mission par l’entreprise de travail temporaire. Le contrat de travail est régi par les dispositions du code du travail relatives au contrat à durée indéterminée, sous réserve des dispositions du présent article. Les missions effectuées par le salarié lié par un contrat de travail à durée indéterminée avec l’entreprise de travail temporaire sont régies notamment par les articles L. 1251-5, L. 1251-6 et L. 1251-40 du code du travail. Pour l’application des dispositions de l’article L. 1251-5, les mots : contrat de mission sont remplacés par les mots : lettre de mission ». C’est donc la question de la requalification de chacun des contrats d’application que sont les contrats de mission qui est en cause et que le dispositif CDI intérimaire n’exclut pas pour la Cour de cassation.

À cet effet, le principe général posé à l’article L. 1251-5 du code du travail s’impose : « le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ». L’article L. 1251-6 du même code précise la règle générale en indiquant que « sous réserve des dispositions de l’article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée « mission » et seulement dans les cas énumérés, parmi lesquels l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ». Et la Cour de cassation de rappeler que, selon l’article L. 1251-40 du même code, « lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions, notamment, des articles L. 1251-5 et L. 1251-6, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission ».

Ensuite, de l’ensemble de ces textes, la Cour de cassation déduit deux règles majeures : 1) « lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en violation des dispositions visées par l’article L. 1251-40, le salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière, y compris lorsqu’il a conclu avec l’entreprise de travail temporaire un contrat à durée indéterminée intérimaire » ; 2) « nonobstant l’existence d’un contrat à durée indéterminée intérimaire, la rupture des relations contractuelles à l’expiration d’une mission à l’initiative de l’entreprise utilisatrice s’analyse, si le contrat est requalifié à son égard en contrat à durée indéterminée, en un licenciement qui ouvre droit, le cas échéant, à des indemnités de rupture ».

Enfin, la Haute juridiction confirme l’arrêt d’appel la cour ayant « énoncé à bon droit que, nonobstant la signature d’un contrat à durée indéterminée intérimaire par le salarié, ce dernier peut solliciter, d’une part, la requalification des missions qui lui sont confiées en contrat à durée indéterminée de droit commun à l’égard de l’entreprise utilisatrice, au motif qu’elles ont eu pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de celle-ci, d’autre part, à l’égard de l’entreprise utilisatrice, par suite de cette requalification, comme de l’entreprise de travail temporaire en raison de son licenciement dans le cadre du contrat à durée indéterminée intérimaire, diverses sommes au titre des deux ruptures injustifiées, dès lors que l’objet des contrats n’est pas le même, y compris lorsque les ruptures interviennent à des périodes concomitantes après la fin d’une mission auprès de l’entreprise utilisatrice ». En l’occurrence, « après avoir constaté que le motif de recours n’était pas justifié pour la période antérieure à l’année 2016, la cour d’appel a exactement retenu que les missions exercées par la salariée auprès de l’entreprise utilisatrice devaient être requalifiées en contrat à durée indéterminée à compter du 8 avril 2015 » ; « après avoir relevé que l’entreprise utilisatrice avait mis fin aux relations contractuelles le 31 mai 2019 », « la rupture du contrat de travail, intervenue sans procédure de licenciement, s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse justifiant que soient allouées à la salariée des sommes au titre des indemnités de rupture et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

  La position de la Cour de cassation est pleinement justifiée. D’abord, l’argument selon lequel l’article L. 1251-40 du code du travail ne serait pas applicable est mal fondé. Le § IV de l’article 56 de la loi précitée dispose que « les missions effectuées par le salarié lié par un contrat de travail à durée indéterminée avec l’entreprise de travail temporaire sont régies par les articles L. 1251-5 à L. 1251-63 du code du travail, sous réserve des adaptations prévues au présent article et à l’exception des articles L. 1251-14, L. 1251-15, L. 1251-19, L. 1251-26 à L. 1251-28, L. 1251-32, L. 1251-33 et L. 1251-36 du même code ». Le nouvel article L. 1251-58-4 du code du travail procède au même renvoi. Il ressort clairement que le texte organisant la requalification-sanction de la relation avec l’entreprise utilisatrice n’est pas exclu. Déjà, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, la Cour de cassation avait, le 25 janvier 2023, refusé de transmettre la question au motif que les dispositions combinées des articles L. 1251-58-4, L. 1251-5 et L. 1251-40 du code du travail « sont justifiées par un motif d’intérêt général de lutte contre la précarité pouvant résulter du recours abusif à l’emploi du travail temporaire, de sorte qu’elles ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et au droit au maintien des conventions légalement conclues » (Soc., QPC, 25 janv. 2023, n° 22-40.018 B, préc.).

Ensuite, il résulte de la prohibition du recours au travail temporaire énoncée à l’article L. 1251-5 du code du travail que son utilisation est limitée par l’article L. 1251-6 du même code, applicable au CDI intérimaire par renvoi, à « l’exécution d’une tâche précise et temporaire » et à des cas déterminés, tenant pour l’essentiel : (i) au remplacement d’un salarié, d’un chef d’entreprise ou d’une exploitation agricole ; (ii) à l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ; (iii) à des emplois de caractère saisonnier en raison de la nature de l’activité exercée et de leur caractère par nature temporaire. En cas de litige sur le motif du recours au travail temporaire, c’est à l’entreprise utilisatrice qu’il incombe de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat (Soc. 12 nov. 2020, n° 18-18.294 ; D. 2020. 2294  ; ibid. 2021. 1152, obs; 10 oct. 2018, n° 16-26.535 ; 15 sept. 2010, n° 09-40.473 B. À défaut, le salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits afférents à un CDI prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière (Soc. 11 mai 2022, n° 20-12.271, Dr. soc. 2022. 947,). La rétroactivité qui en découle implique que l’ancienneté du salarié sera évaluée à partir de cette date. Conformément au principe de l’unicité de la requalification, le salarié a droit à une indemnité de requalification unique pour toute la période concernée, à la charge exclusive de l’entreprise utilisatrice, même si la succession de contrats a été interrompue pendant plusieurs mois. (Soc. 15 mars 2006, n° 04- 48.548). Le salarié intérimaire bénéficiaire de la requalification étant considéré ab initio comme titulaire d’un CDI à l’égard de l’entreprise utilisatrice, la rupture par cette dernière de ce nouveau contrat, notamment par la non-fourniture d’une prestation de travail, lui impose de faire application des règles du licenciement, avec toutes les conséquences indemnitaires afférentes, notamment le paiement d’une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’une indemnité de préavis, s’ajoutant à l’indemnité de précarité (Soc. 30 mars 2005, n° 02-45.410 P), voire le cas échéant d’une indemnité de congés payés sur préavis et d’une indemnité conventionnelle de licenciement (Soc. 25 mai 2005, n° 02-44.468). L’entreprise utilisatrice peut en outre être condamnée au remboursement à l’organisme gestionnaire du régime d’assurance chômage des indemnités de chômage éventuellement payées au salarié (Soc. 18 oct. 2007, n° 06-43.771).

Enfin, en raison de la distinction des rapports de droit entre l’entreprise de travail temporaire (responsable notamment des règles de forme du contrat) et l’entreprise utilisatrice (responsable de la licéité des cas de recours) pouvant entraîner la violation de règles distinctes, le salarié est en droit d’exercer deux actions concurrentes : l’une pour la requalification de la relation de travail à l’encontre de l’entreprise utilisatrice, et l’autre pour la requalification du contrat ou la contestation de la rupture contre l’entreprise de travail temporaire. (Soc. 20 mai 2009, n° 07-44.755, lesquelles relèvent de deux fondements différents, ce qui impose aux employeurs de répondre parfois in solidum des conséquences de la rupture du contrat (Soc. 12 nov. 2020, n° 18-18.294,  ; et 12-11.954). Le fait que, dans un CDI intérimaire, une nouvelle mission puisse être confiée au salarié auprès d’une autre entreprise utilisatrice ne saurait faire obstacle à l’exercice cumulé d’actions en justice, car la nouvelle lettre de mission constitue un nouveau rapport de droit, distinct des autres (également susceptible d’être contesté).

La solution rendue s’inscrit donc pleinement dans la finalité du dispositif : « l’objectif d’une relation de travail stabilisée entre le salarié et l’entreprise de travail temporaire attaché au CDII s’inscrit dans celui plus large, confirmé par les travaux parlementaires de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, d’une lutte contre le recours abusif au travail précaire, en partie imputable à l’employeur en cas de délégation d’un salarié intérimaire pour un emploi durable et permanent, ce qui justifie l’application d’une sanction dissuasive à l’égard de l’entreprise utilisatrice et réparatrice pour le travailleur » (avis de l’avocat général Hemel, p. 8).

Avant d’établir un contrat de travail et en cas de doute sur les dispositions légales qui encadrent votre projet de recrutement, contactez notre cabinet d’avocat spécialisé en droit du travail pour être accompagné dans l’établissement de vos actes.

 

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Le non-respect des conditions de dérogation au repos dominical sanctionné

L’employeur qui méconnaîtrait ses obligations dans le cadre de la dérogation spéciale au repos dominical accordée par le préfet, notamment pendant la période des Jeux olympiques, encourt une peine d’amende.

L’article 25 de la loi du 19 mai 2023 relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 a créé une dérogation temporaire au repos dominical accordée par le préfet aux établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens ou des services et qui sont situés dans les communes d’implantation des sites de compétition des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 ainsi que dans les communes limitrophes ou situées à proximité de ces sites. La dérogation s’applique du 15 juin au 30 septembre 2024 (FRS 10/23 inf. 12 p. 25).

Le salarié doit exprimer son consentement volontaire par écrit à son employeur pour travailler le dimanche. Il a le droit de se rétracter à tout moment, à condition d’avoir informé préalablement son employeur par écrit, en respectant un délai de 10 jour franc. De plus, il doit bénéficier de contreparties : une rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente et un repos compensateur équivalent en temps. L’employeur doit également prendre toute mesure nécessaire pour permettre aux salariés d’exercer personnellement leur droit de vote aux scrutins nationaux et locaux lorsque ceux-ci ont lieu le dimanche (C. trav. art. L 3132-25-4, al. 1 et 6 et L 3132-27, al. 1).

 

Ce qui dit l’article L 3132-25-4 à propos du repos dominical

Il faut noter qu’en application de l’article L 3132-25-4, alinéa 1er du Code du travail, cité par l’article 25 de la loi, une entreprise ne peut pas prendre en considération le refus d’une personne de travailler les dimanches entre le 15 juin et le 15 septembre 2024 pour refuser de l’embaucher. Le salarié qui refuse de travailler les dimanches ne peut pas être discriminé dans l’exécution de son contrat de travail. Ce refus ne constitue ni une faute, ni un motif de licenciement.

Un décret du 14 avril 2024 instaure une infraction contraventionnelle en cas d’inobservation par l’employeur de ses obligations en termes de volontariat des salariés, de respect du droit de vote et d’octroi des contreparties.

Ainsi, le fait de méconnaître ces dispositions est puni des peines prévues à l’article R 3135-2 du Code du travail, soit de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe. Les contraventions donnent lieu à autant d’amendes qu’il y a de salariés illégalement employés. La récidive est réprimée conformément aux articles 132-11 et 132-15 du Code pénal.

En pratique, l’amende de 5e classe s’élève, pour les personnes physiques, à un montant de 1 500 € au plus, qui peut être porté à 3 000 € en cas de récidive (C. pén. art. 131-13 et 132-11) et, pour les personnes morales, à un montant de 7 500 €, porté à 30 000 € en cas de récidive (C. pén. art. 131-38 et 132-15).

Ces dispositions sont entrées en vigueur le 14 avril 2024. N’hésitez pas à contacter notre cabinet spécialisé en droit du travail pour vous assurer de la mise en oeuvre des ces dispositions.

 

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La relation intime entre deux salariés ne doit pas être dissimulée en cas de conflit d’intérêts

Dans le cas d’une relation intime entre deux salariés, par exemple le directeur des ressources humaines qui n’informerait pas l’employeur de la relation intime qu’il entretient avec une salariée, représentante du personnel, alors qu’ils participent conjointement aux réunions des instances représentatives du personnel, manquerait à son obligation de loyauté (Cass. soc., 29 mai 2024, n°22-16.218).

Le silence gardé par le salarié sur un fait relevant de sa vie personnelle, à savoir sa relation intime avec une autre salariée, peut-il être regardé comme un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail ? Dans un arrêt publié au bulletin de ses chambres civiles, la Cour de cassation répond par l’affirmative, en confirmant le licenciement pour faute grave d’un directeur des ressources humaines (DRH) n’ayant pas informé l’employeur de sa relation avec une représentante du personnel.

Un drh cache à son employeur la relation intime qu’il entretient avec une représentante du personnel

En l’espèce, un salarié exerce des fonctions de direction au sein de l’entreprise. Il est responsable de la gestion des ressources humaines et détient une délégation effective et permanente du président du directoire pour les questions d’hygiène, de sécurité, d’organisation du travail, ainsi que pour la présidence des instances représentatives du personnel. Pendant plusieurs années, il entretient une relation amoureuse avec une autre salariée de l’entreprise, occupant elle-même divers mandats de représentation syndicale et de représentation du personnel. Il ne divulgue pas cette relation à son employeur, qui finit par en être informé et le licencie pour faute grave. Le salarié conteste son licenciement en arguant d’une atteinte à sa vie privée et, subsidiairement, demande que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse. Ses recours sont rejetés par la cour d’appel et la Cour de cassation.

Cacher la relation qui affecte le bon exercice des fonctions professionnelles est jugé fautif

Une relation intime se rattachant à la vie professionnelle du salarié…

La Cour de cassation commence par rappeler qu’en principe un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier un licenciement disciplinaire sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail. Un principe bien connu et maintes fois rappelé par les juges (Cass. ass. plén. 22 décembre 2023 n° 21-11.330 BR ; Cass. soc. 6 mars 2024 n° 22-11.016; Cass. soc. 20 mars 2024 n° 22-19.170). Un licenciement disciplinaire peut aussi être justifié si un fait tiré de la vie personnelle peut se rattacher à la vie professionnelle (Cass. soc. 25 septembre 2019 n° 17-31.171).

Il ne fait aucun doute que l’existence d’une relation intime entre deux salariés relève de leur vie personnelle, même s’ils travaillent dans la même entreprise. Mais pour les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, cette relation intime :

–  se rattache à leur vie professionnelle, en raison de leurs fonctions respectives qui les amènent à participer à des réunions au cours desquelles sont discutés des sujets sensibles pour l’entreprise : les juges ont notamment relevé que la salariée avait participé à des mouvements de grève et à la négociation de plans de réduction des effectifs ;

–  et est de nature à affecter le bon exercice de leur activité professionnelle : les juges considèrent en effet que la relation intime entretenue par les salariés emporte nécessairement une influence sur l’exercice par le salarié de ses fonctions de DRH.

Ainsi, pour les juges, l’employeur pouvait se placer sur le terrain disciplinaire et prononcer un licenciement pour faute à l’encontre du salarié. Restait à savoir si le motif de rupture et la qualification de faute grave retenus par l’employeur devaient être approuvés.

… qui caractérise un manquement à son obligation de loyauté…

Pour les juges, en dissimulant cette relation amoureuse à l’employeur, le salarié a manqué à son obligation de loyauté. En l’occurrence, l’employeur précise dans la lettre de licenciement qu’il « n’est évidemment nullement dans notre intention de nous immiscer dans votre vie privée ». Le licenciement disciplinaire prononcé à l’encontre du salarié dans cette affaire n’est pas fondé uniquement sur l’existence d’une relation intime entre deux salariés, mais plutôt sur le fait que cette relation intime entre deux salariés a été dissimulée, engendrant ainsi un conflit d’intérêts et des comportements déloyaux.

La Cour de cassation, se fondant sur le pouvoir souverain de la cour d’appel, estime que celle-ci a correctement déduit un manquement du salarié à son devoir de loyauté envers son employeur à partir des faits constatés. Par conséquent, la décision de licencier le salarié pour faute grave est confirmée. Une sanction qui peut sembler très sévère, notamment dans la mesure où la salariée avait quitté les effectifs de l’entreprise au moment du licenciement.

Il est important de souligner que dans la lettre de licenciement, l’employeur mentionne que si le salarié l’avait informé de cette relation, il aurait pris des mesures pour éviter une situation de conflit d’intérêts, tout en maintenant ses responsabilités et ses attributions inchangées. En pratique, si le salarié avait dévoilé sa relation, quelle aurait été la réaction de son employeur ? Il n’aurait pas pu le sanctionner, puisque le manquement à l’obligation de loyauté aurait disparu. Il aurait probablement pu lui retirer sa délégation de pouvoir pour éviter tout conflit d’intérêts, mais aurait-il choisi de maintenir à son poste un DRH dépourvu d’une telle délégation ?

… Y compris en l’absence de préjudice pour l’employeur

Pour le salarié, il n’y a pas de manquement à l’obligation de loyauté dès lors que les juges n’ont pas constaté que les intérêts de l’employeur ou de l’entreprise ont été lésés par la dissimulation de la relation.

Il faut noter que la cour d’appel définit ici la déloyauté comme le fait pour le salarié de cacher à son entreprise des situations ou des évènements le touchant, en lien avec l’exercice de l’activité professionnelle exercée ou pouvant avoir des conséquences sur celle-ci.

Là aussi, la Cour de cassation s’appuyant sur les constats de la cour d’appel estime qu’il importe peu qu’un préjudice pour l’employeur ou pour l’entreprise soit établi ou non. Ainsi, le manquement du salarié à l’obligation de loyauté rend impossible son maintien dans l’entreprise. Son licenciement pour faute grave est donc justifié.

Le respect de la vie privée du salarié cède devant l’intérêt de l’entreprise

Deux principes étaient en jeu dans cette affaire : d’une part, l’obligation pour l’employeur de respecter la vie personnelle du salarié (C. trav. art. L 1121-1) et, d’autre part, l’obligation d’exécuter le contrat de travail de bonne foi (C. trav. art. L 1222-1), qui s’impose à l’employeur comme au salarié.

La Cour de cassation a toujours veillé au respect de la vie privée du salarié (en ce sens : Cass. ass. plén. 19 mai 1978 n° 76-41.211). Mais, dans cette affaire, l’intérêt de l’entreprise prime sur cette liberté fondamentale du salarié. On relèvera d’ailleurs que, dans une situation semblable, une cour d’appel a estimé qu’un DRH, amené à prendre part aux décisions relatives aux procédures et décisions disciplinaires et à l’évolution de la carrière des salariés, qui entretenait une relation intime avec une salariée de l’entreprise, avait manqué à l’obligation de neutralité et à l’obligation de loyauté à l’égard de son employeur dès lors qu’il ne l’avait pas informé de sa situation personnelle et des conséquences de celle-ci sur l’exercice de ses fonctions (CA Bordeaux 17 avril 2024 n° 21/01972).

Il convient de noter que la position définie par la Cour de cassation concernant les licenciements liés à des faits relevant de la vie privée des salariés n’est pas toujours facile à interpréter. À titre d’exemple, dans un arrêt marqué par l’acronyme PBRI, la Cour a jugé que le simple « risque » de conflit d’intérêts ne pouvait pas constituer une cause suffisante et sérieuse de licenciement. Cet arrêt portait sur le cas d’un délégué régional chargé d’intégrer de nouveaux centres de contrôle technique dans le réseau de son employeur, qui n’avait pas informé celui-ci de son mariage avec la coassociée d’un centre nouvellement intégré. (Cass. soc. 21 septembre 2006 n° 05-41.155). Ou encore, la Cour de cassation a récemment jugé que le droit au respect de l’intimité de la vie privée devait être garanti au salarié qui envoie, via la messagerie professionnelle, des messages privés au contenu raciste et xénophobe à des collègues de travail (Cass. soc. 6 mars 2024 n° 22-11.016) ou qui échange des insultes homophobes avec des collègues au moyen d’une messagerie installée sur l’ordinateur professionnel (Cass. ass. plén. 22 décembre 2023 n° 20-20.648). Une protection qui n’est pas accordée, ici, au salarié DRH qui n’a pas divulgué sa relation amoureuse avec une collègue.

La décision

Un motif tiré de la vie personnelle ne peut pas, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail. Ayant constaté que le salarié, qui exerçait des fonctions de direction, était chargé en particulier de la gestion des ressources humaines et était investi à ce titre du pouvoir de représenter son employeur dans le domaine des relations collectives de travail et dans les instances représentatives du personnel, avait caché à son employeur la relation amoureuse qu’il entretenait avec une salariée qui exerçait des mandats de représentation du personnel. La cour d’appel a pu en déduire qu’en dissimulant à l’employeur cette relation intime entre deux salariés, qui était en rapport avec ses fonctions professionnelles et de nature à en affecter le bon exercice, le salarié avait ainsi manqué à son obligation de loyauté et que ce manquement rendait impossible son maintien dans l’entreprise, peu important qu’un préjudice pour l’employeur ou pour l’entreprise soit ou non établi.

 

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L’envoi de messages privés via la messagerie professionnelle, même racistes, n’est pas fautif

Pour la Cour de cassation, un employeur ne peut pas licencier pour motif disciplinaire un salarié pour l’envoi de messages privés via la messagerie professionnelle, même racistes, dès lors qu’il s’agit de messages privés non voués à être rendus publics (Cass. soc., 6 mars 2024, n°22-11.016).

La vie personnelle du salarié ou la vie professionnelle, la frontière peut être compliquée. En particulier lorsque, comme dans l’affaire jugée ici par la Cour de cassation, des propos racistes et xénophobes sont échangés par une salariée avec ses collègues au moyen de la messagerie professionnelle de l’entreprise.

Cette affaire donne l’occasion à la chambre sociale de la Cour de cassation de confirmer sa jurisprudence, constante en la matière, et récemment rappelée par son assemblée plénière à l’occasion d’arrêts relatifs à la recevabilité d’une preuve déloyale ou illicite.

Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas, en principe, justifier son licenciement disciplinaire.

En l’espèce, une salariée d’une caisse de sécurité sociale avait diffusé des propos racistes et xénophobes à ses collègues via la messagerie professionnelle mise à sa disposition. En raison d’une erreur d’envoi par l’un des destinataires, l’employeur a pris connaissance de ces courriels discriminatoires et a licencié la salariée pour faute grave en raison du contenu de ces messages.

La salariée a contesté son licenciement, arguant que les faits reprochés relevaient de sa vie privée et ne pouvaient justifier un licenciement disciplinaire. La cour d’appel lui a donné raison, estimant que l’envoi de messages privés via la messagerie professionnelle, même racistes, relevait de sa vie personnelle, car ils étaient qualifiés de « personnels et confidentiels ». Elle a conclu que l’employeur ne pouvait pas se baser sur leur contenu pour licencier la salariée pour faute et a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’employeur a formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation juge, de manière constante, qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Cass. soc. 30 septembre 2020 n° 19-12.058 ; Cass. soc. 4 octobre 2023 n° 21-25.421).

C’est ce principe classique qu’affirme, dans un premier temps, la Cour de cassation, en prenant soin de rappeler que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée.

La salariée avait-elle manqué aux obligations découlant de son contrat de travail en écrivant un courriel raciste et xénophobe à l’aide de sa messagerie professionnelle ? C’est ce que soutenait l’employeur, à l’appui de son pourvoi.

Pour rejeter ce pourvoi, la Cour de cassation s’appuie sur la décision récente de son assemblée plénière (Cass. ass. plén. 22 décembre 2023 n° 21-11.330). Appliquant le principe du respect de la vie personnelle du salarié, l’assemblée plénière a jugé qu’une conversation privée qui n’est pas destinée à être rendue publique ne peut pas constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail.

Elle en a déduit, dans cette affaire, que les propos homophobes échangés par des salariés à propos d’un de leurs collègues sur la messagerie d’un compte Facebook installée sur un poste professionnel ne justifiait pas un licenciement disciplinaire.

La chambre sociale de la Cour de cassation, s’appuyant sur les constats de la cour d’appel, en vient à la même conclusion, au vu du respect de la vie personnelle des individus.

Premiers constats des juges du fond, approuvés par la Cour de cassation :

–  les messages litigieux s’inscrivaient dans le cadre d’échanges privés à l’intérieur d’un groupe ;

–  pas destinés à devenir publics ;

–  connus par l’employeur à la suite d’une erreur d’envoi.

Autrement dit, les juges relèvent que les messages n’étaient destinés qu’à peu de personnes, soit seulement deux collègues de travail, et n’avaient manifestement pas vocation à être diffusés hors d’un cadre restreint.

Selon nous, a contrario, si les messages avaient « fuité », l’employeur aurait-il pu s’en prévaloir à l’appui d’un licenciement ?

Si, compte tenu du caractère choquant des messages, des salariés s’étaient plaints auprès de l’employeur, un licenciement non disciplinaire motivé par le trouble au bon fonctionnement de l’entreprise aurait pu être envisagé (en ce sens, Cass. soc. 30 novembre 2005 n° 04-13.877 et 04-41.206).

En cas de diffusion des messages à l’extérieur de l’entreprise, l’employeur aurait pu se placer sur le terrain disciplinaire. Par exemple, l’envoi d’injures antisémites à un tiers extérieur à l’entreprise, via la messagerie professionnelle, permettant d’identifier le nom de l’employeur, a été jugé fautif (Cass. soc. 2 juin 2004 n° 03-45.269).

… Même sur une messagerie professionnelle…

Les messages avaient été envoyés à partir de la messagerie professionnelle, mais il ressort de l’arrêt d’appel qu’ils avaient tous expressément été identifiés par la salariée comme étant « personnels et confidentiels ».

À ce titre, il est de jurisprudence constante que les courriels adressés et reçus par un salarié à l’aide de la messagerie professionnelle sont présumés avoir un caractère professionnel, et sont par conséquent passibles de sanctions (Cass. Soc. 2 juin 2004 n° 03-45.269). Si, toutefois, les messages sont identifiés comme étant personnels, ils sont couverts par le secret des correspondances (Cass. Soc. 16 mai 2013 n° 12-11.866). L’employeur ne peut les invoquer à l’appui d’une sanction disciplinaire que si leur contenu est en rapport avec l’activité professionnelle et ne revêt pas un caractère privé (Cass. Soc. 2 février 2011 n° 09-72.450). Ce n’était pas le cas ici.

Il faut noter que dans l’arrêt d’assemblée plénière du 22 décembre 2023, le même principe a été retenu à propos de messages provenant d’un compte Facebook personnel. La jurisprudence admet que, même installée sur l’outil professionnel, la messagerie personnelle comme la messagerie personnelle instantanée reste couverte par le secret des correspondances (Cass. crim. 24 mars 2020 n° 19-82.069; Cass. Soc. 23 octobre 2019 n° 17-28.448).

… Dès lors qu’ils n’ont pas eu de retentissement dans la sphère professionnelle

L’employeur faisait valoir qu’en tant qu’employée d’une caisse de sécurité sociale, la salariée était soumise au principe de neutralité et de laïcité, applicable aux salariés exerçant une mission de service public conformément à l’article 1er de la Constitution. Ainsi en tenant des propos racistes lors de l’envoi de messages privés via la messagerie professionnelle, la salariée aurait enfreint ces principes.

Un argument là aussi balayé par la Cour de cassation qui reprend, à nouveau, les constats des juges du fond. La lettre de licenciement ne mentionnait pas que les propos tenus auraient eu une incidence sur l’emploi de la salariée, dans ses relations avec les usagers ou avec les collègues.

L’employeur ne rapportait pas non plus la preuve que les écrits de la salariée auraient été connus en dehors du cadre privé et à l’extérieur de la caisse ni que son image aurait été atteinte.

Les juges en déduisent l’absence de violation du principe de neutralité et de laïcité applicable aux agents exerçant une mission de service public.

Il faut noter qu’a contrario, si l’employeur avait été en mesure de prouver un comportement raciste ou xénophobe de la salariée envers les usagers de la caisse, il aurait pu se placer sur le terrain disciplinaire. Mais la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, s’en tenait exclusivement aux propos tenus par la salariée dans le cadre d’une conversation privée.

Pas d’abus dans l’usage de la messagerie professionnelle à des fins personnelles

Dernier argument avancé par l’employeur : l’utilisation abusive du matériel informatique mis à la disposition de la salariée par la caisse, en violation du règlement intérieur de la caisse de sécurité sociale.

La Cour de cassation, s’appuyant sur la décision des juges du fond, note que bien que le règlement intérieur interdise aux salariés d’utiliser les équipements de l’employeur à des fins personnelles sans autorisation préalable, y compris dans le domaine de l’informatique, un salarié peut néanmoins utiliser la messagerie professionnelle pour envoyer des messages privés tant qu’il n’en abuse pas. Selon les juges du fond, l’envoi de 9 messages privés en 11 mois à partir de la messagerie professionnelle n’était pas excessif, indépendamment de leur contenu, qui était couvert par le secret des correspondances.

Il faut noter que les juges peuvent en revanche considérer qu’un salarié fait une utilisation abusive du matériel informatique justifiant son licenciement disciplinaire s’il y consacre trop de temps, au détriment de son travail ou si une utilisation à titre personnel revêt un caractère systématique (voir, par exemple, Cass. soc. 18 mars 2009 n° 07-44.247 ; Cass. soc. 26 février 2013 n° 11-27.372).

La décision

Le salarié a droit, même pendant ses heures de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée. En conséquence, sauf si cela constitue un manquement à une obligation contractuelle, un motif lié à sa vie personnelle ne peut normalement pas justifier un licenciement disciplinaire. Dans cette perspective, l’employeur ne peut pas utiliser l’envoi de messages privés via la messagerie professionnelle, même racistes, pour motiver un licenciement disciplinaire lorsque :

–  les messages litigieux s’inscrivaient dans le cadre d’échanges privés à l’intérieur d’un groupe de personnes, sans vocation à devenir publics et n’avaient été connus par l’employeur qu’à la suite d’une erreur d’envoi

–  la lettre de licenciement ne mentionnait pas que les opinions exprimées par la salariée dans ces courriels auraient eu une incidence sur son emploi ou dans ses relations avec les usagers ou les collègues, l’employeur ne versant aucun élément tendant à prouver que les écrits de l’intéressée auraient été connus en dehors du cadre privé et à l’extérieur de la caisse et que son image aurait été atteinte, de sorte que le moyen tiré du principe de neutralité découlant du principe de laïcité applicable aux agents qui participent à une mission de service public est inopérant

–  si le règlement intérieur de la caisse interdisait aux salariés d’utiliser pour leur propre compte et sans autorisation préalable les équipements lui appartenant, y compris dans le domaine de l’informatique, un salarié pouvait toutefois utiliser sa messagerie professionnelle pour envoyer des messages privés dès lors qu’il n’en abusait pas et qu’en l’espèce l’envoi de 9 messages privés en l’espace de 11 mois ne peut pas être jugé comme excessif, indépendamment de leur contenu.

 

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Le nécessaire suivi régulier à effet utile pour la validité des conventions de forfait-jours

Trois décisions du 5 juillet 2023 illustrent l’appréciation de la validité des conventions de forfait au regard du « suivi effectif et régulier » permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable » (soc., n°21-23.387 ; n°21-23.294 ; n°21-23.222).

La validité des conventions de forfait en jours au regard des exigences désormais bien connues du droit à la santé et au repos du salarié fait l’objet d’une abondante jurisprudence.

La Cour cassation cherche à assurer la protection du droit à la santé et au repos du salarié, visant tout à la fois l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne, les textes du code du travail résultant de la transposition des directives 1993/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 et 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil 4 novembre 2003, ainsi que la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La Cour de cassation a déduit de ces normes constitutionnelles et conventionnelles que le non-respect des dispositions conventionnelles visant à protéger la santé du salarié privent d’effet les conventions de forfait en jours, avec pour conséquence, un retour à la durée légale ou conventionnelle de travail, et donc, potentiellement, un rappel d’heures supplémentaires sur les trois dernières années (Soc. 29 juin 2011, n° 09-71.107).

La Cour de cassation laisse à l’appréciation des juges du fond le soin de vérifier la conformité de l’accord collectif aux objectifs de protection de la santé et de la sécurité des salariés.

Les arrêts commentés s’inscrivent dans ce contexte.

Dans la première espèce (n° 21-23.387 B), l’article 2.8.3 de la convention collective des prestataires de services dans le secteur tertiaire prévoit, en substance, un unique entretien annuel portant sur l’organisation du travail, l’amplitude horaire et la charge de travail. De plus, l’accord énonce que l’employeur est tenu de mettre en place des modalités de contrôle du nombre de journées travaillées et non travaillées. L’accord est jugé insuffisant au regard des exigences constitutionnelles du droit à la santé et au repos et les conventions de forfait est annulée car les garanties ne permettent pas un suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable.

Dans la deuxième espèce (n° 21-23.222 B), les articles 1.09 et 4.06 de la convention collective de la réparation automobile prévoyaient, en substance, la possibilité d’un entretien annuel avec l’obligation pour la hiérarchie de mettre en place des correctifs, à la suite de l’entretien annuel, pour respecter une charge de travail raisonnable ainsi qu’un système auto-déclaratif pour que les salariés puissent déclarer les jours travaillés et non travaillés. De la même manière et pour les mêmes raison, l’accord est jugé insuffisant et les conventions de forfait sont annulées, faute pour le support conventionnel de prévoir des garanties suffisantes pour sauvegarder le droit à la santé et au repos du salarié.

Dans la troisième espèce (n° 21-23.294 B), la chambre sociale donne toutefois un exemple de dispositions conventionnelles jugées acceptables. Était en cause la convention collective des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment qui prévoit un suivi régulier de la hiérarchie via un document individuel de suivi et des points réguliers lors de l’exécution de la convention. Les garanties sont jugées suffisantes car elles permettent à l’employeur de réagir en temps utile à la surcharge de travail du salarié.

Ainsi est-il nécessaire pour les employeurs de trouver le fil conducteur du contrôle imposé par la Cour de cassation et exercé par les juges du fond pour ne pas voir les conventions de forfait en jours conclues avec les salariés privés d’effet en cas d’inapplication des garanties conventionnelles, voire annulées en cas d’insuffisances de celles-ci.

L’enjeu est de taille : le risque financier peut être très élevé pour les entreprises. Le rappel d’heures supplémentaires sur trois années, outre les éventuelles condamnations pour travail dissimulé et non-respect du droit au repos, est un risque que l’employeur doit conserver à l’esprit.

Il est par ailleurs à rappeler que l’employeur est débiteur d’une obligation de sécurité (C. trav., art. L. 4121-1) à l’endroit du salarié, ce d’autant que le non-respect de la législation sur la durée du travail cause désormais nécessairement préjudice au salarié, qu’il s’agisse du non-respect de sa durée hebdomadaire de travail ou du non-respect de sa durée quotidienne maximale.

Les accords de branche et d’entreprise ont donc un rôle déterminant dans la conception d’un dispositif permettant le suivi effectif et régulier de la santé du travailleur.

Les juges du fond sont invités à vérifier que l’accord collectif est de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié. De nombreuses conventions de branche ont été invalidées par la chambre sociale : la convention collective nationale de l’industrie chimique (Soc. 31 janv. 2012, n° 10-19.807), de commerces de gros (Soc. 26 sept. 2012, n° 11-14.540, des bureaux d’études (Soc. 24 avril 2013, n° 11-28.398 P, des experts-comptables (Soc. 14 mai 2014, n° 12-35.033 P) ou encore du personnel salarié des cabinets d’avocats (Soc. 8 nov. 2017, n° 15-22.758 P).

La chambre sociale impose désormais, de façon constante, que le suivi de la charge de travail des salariés soit effectif et réalisé au fil de l’eau (Soc. 14 mai 2014, n° 12-35.033 ; 5 oct. 2017, n° 16-23.106 P; 6 nov. 2019, n° 18-19.752 P). Cette exigence de suivi régulier est reprise dans le code du travail depuis la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, au sein des dispositions qui sont d’ordre public (C. trav., art. L. 3121-60).

La nécessité pour l’employeur d’instaurer un suivi régulier lui permet de réagir « en temps utile ».

Le contrôle des dispositions conventionnelles, imposé par la Cour de cassation et opéré par les juges du fond, s’articule en deux temps : le contrôle du temps de travail effectivement réalisé par le salarié et l’existence d’un mécanisme correcteur en cas de surcharge de travail.

Ainsi, en premier lieu, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que les juges contrôlent l’existence d’un mécanisme permettant de relever en temps réel le travail effectivement réalisé par le salarié ainsi que ses temps de repos. Cela passe régulièrement par un système auto-déclaratif des jours travaillés et des jours de repos, sous la responsabilité de l’employeur, qui doit être contrôlé régulièrement par la hiérarchie (Soc. 19 juin 2019, n° 18-11.391).

Ensuite, l’employeur doit mettre en place un système permettant des correctifs rapides pour pallier la surcharge de travail et pour sauvegarder la santé du salarié au regard des « états récapitulatifs de temps travaillé transmis » (Soc. 19 juin 2019, n° 18-11.391). C’est généralement sur ce point que les dispositions conventionnelles sont jugées insuffisantes. En effet, dans les arrêts commentés, les dispositions conventionnelles jugées insuffisantes sont celles qui ne prévoyaient qu’un échange annuel obligatoire entre l’employeur et le salarié.

La pratique de l’unique entretien annuel prévu par accord collectif pourrait exposer désormais quasi-systématiquement les conventions de forfait à la nullité.

Le critère déterminant réside donc dans la proactivité de l’employeur à réagir en temps utile – quasi-immédiatement – pour permettre de diminuer la charge de travail et prévenir les violations au droit à la santé et au repos du travailleur.

L’employeur doit être en mesure de contrôler, de suivre et de corriger en temps utile la charge, l’organisation et l’amplitude du travail du salarié.

 

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Quelle preuve de la cause réelle d’un licenciement concomitant à la dénonciation d’un harcèlement ?

Dans un arrêt rendu le 18 octobre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation précise le régime de la preuve du lien de causalité entre la dénonciation d’un harcèlement moral ou sexuel et le licenciement du salarié intervenu peu après (Cass. Soc., 18 octobre 2023, n°22-18.678).

Engagée en qualité de cuisinière dans un restaurant, une salariée fut licenciée pour faute grave. Imputant le véritable motif du licenciement à son dépôt de plainte pour dénonciation d’un harcèlement sexuel, elle demanda la nullité de ladite mesure devant le conseil de prud’hommes. La Cour d’appel d’Amiens vit dans la proximité temporelle entre la dénonciation du harcèlement sexuel et la notification du licenciement le véritable motif de ce dernier. Considérant en outre que la salariée n’avait pas dénoncé les faits de mauvaise foi, elle conclut à la nullité du licenciement.

Au soutien de son pourvoi, l’employeur arguait que la lettre de licenciement fixe les limites du litige et, qu’en l’occurrence, elle n’évoquait pas la dénonciation du harcèlement sexuel par la salariée, mais le refus de cette dernière d’accomplir certaines de ses tâches ainsi que ses abandons de poste et actes d’insubordination. Ces derniers (et seuls) griefs étaient à même de justifier le licenciement pour faute grave.

Finalement, le débat soumis à la Cour de cassation portait sur la preuve de la cause réelle du licenciement. Les juges du fond peuvent-ils se contenter d’une concomitance entre la dénonciation d’un harcèlement par un salarié et son licenciement pour en déduire la nullité du dernier ? Ou doivent-ils examiner les motifs du licenciement tels que mentionnés dans la lettre de licenciement et, selon le contenu de cette dernière, exiger du salarié ou de l’employeur d’apporter la preuve de la véritable motivation du licenciement ?

Au visa des articles L. 1152-2, L. 1152-3 et L. 1154-1 du code du travail, la Cour de cassation semble opter pour la deuxième option. Plus encore, dans ce qui a tout l’air d’un attendu de principe, la chambre sociale nous livre la méthode à suivre quant à la preuve de la cause réelle de licenciement en ces circonstances.

Au soutien de la cassation, la chambre sociale prend soin de mobiliser les dispositions du code du travail relatives à la protection des salariés dénonçant des faits de harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel, commis dans l’entreprise. Bien que le code du travail prévoie deux chapitres, l’un relatif au harcèlement moral, l’autre au harcèlement sexuel, la protection instituée est identique. Preuve en est que la Cour de cassation, alors que le litige portait sur la dénonciation d’un harcèlement sexuel, fonde sa décision sur les textes propres au harcèlement moral. Implicitement mais sûrement, elle nous indique que la présente solution vaudra tant pour la dénonciation d’un harcèlement sexuel que pour celle d’un harcèlement moral.

Quant à la protection du salarié, l’article L. 1152-2 (harcèlement moral) comme l’article L. 1153-2 (harcèlement sexuel) disposent qu’aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou sexuel ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l’objet des mesures mentionnées à l’article L. 1121-2. Ces mesures incluent notamment les sanctions, licenciements et mesures discriminatoires à l’égard de ces salariés ayant refusé les comportements harcelants dans l’entreprise. Aussi, ces textes protègent non pas du harcèlement lui-même, mais des « mesures de rétorsion », pour reprendre le vocabulaire employé par la chambre sociale dans la présente décision (§ 5), à l’égard d’un salarié pour avoir subi, refusé de subir ou dénoncé un harcèlement. Du reste, le salarié dénonciateur peut être autant le salarié ayant subi le harcèlement que tout autre salarié en ayant été témoin. En l’espèce, il semblerait que la salariée ait elle-même subi le harcèlement sexuel puisque la dénonciation s’était traduite par le dépôt d’une plainte.

En outre, en application des articles L. 1152-3 (harcèlement moral) et L. 1153-4 (harcèlement sexuel), toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance du présent régime, toute disposition ou tout acte contraire est frappé de nullité. Classiquement, la nullité du licenciement entraîne au profit du salarié un droit à la réintégration dans l’entreprise ou, à défaut, une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, les barèmes « Macron » étant écartés (C. trav., art. L. 1235-3-1).

Récemment, au prix d’un « changement de cap » dans sa jurisprudence, la Cour de cassation a admis que la nullité du licenciement s’impose même si le salarié n’a pas expressément qualifié les faits de harcèlement dans sa dénonciation (Soc. 19 avr. 2023, n° 21-21.053 B). Désormais, on ne saurait reprocher au salarié de ne pas avoir su qualifier juridiquement les agissements subis.

Toujours est-il que l’annulation du licenciement intervenu postérieurement à la dénonciation d’un harcèlement suppose que ce dernier soit motivé, non par une cause réelle et sérieuse, mais par la dénonciation. Il doit être établi que le licenciement est une mesure de rétorsion de la part de l’employeur, le juge devant contrôler la véritable cause du licenciement. Mais qui doit le prouver ? Et comment le prouver ?

À ces questions, la chambre sociale nous répond par la formule suivante : « Lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une plainte pour harcèlement moral ou sexuel. Dans le cas contraire, il appartient à l’employeur de démontrer l’absence de lien entre la dénonciation par le salarié d’agissements de harcèlement moral ou sexuel et son licenciement » (§ 5). La Cour de cassation nous livre ainsi une méthode, d’apparence claire et concise, afin de prouver le lien de causalité entre la dénonciation et le licenciement. Or, cet attendu soulève plus d’interrogations qu’il n’en résout. Deux options, dont chacune soulève sa part de questions.

« Lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement… »

D’emblée, il faut relever la présence de l’article L. 1154-1 du code du travail au visa, ce qui était loin d’être évident. Ce texte prévoit un régime probatoire spécifique en matière de harcèlement moral et sexuel. Précisément, il permet au salarié de « présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement » (al. 1er). Si le salarié parvient à « tisser ce voile d’apparence », alors l’employeur doit « prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement » (al. 2).

Or, stricto sensu, ce texte ne s’applique qu’à la preuve du harcèlement lui-même. Il y est question de prouver l’existence du harcèlement, non de prouver les mesures de rétorsion consécutives à la dénonciation d’un harcèlement (que ce dernier soit établi ou non). Dans l’arrêt, c’est bien de la seconde hypothèse dont il est question. Aussi, on ne saurait dire avec fermeté si sa présence au visa signifie qu’il s’applique à cette seconde situation ou si, au contraire, il ne s’y applique pas.

Notons tout de même que ce mécanisme probatoire spécifique est emprunté au domaine de la discrimination (C. trav., art. L. 1134-1), y compris quand la mesure discriminatoire fait suite à la dénonciation par un salarié de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions (C. trav., art. L. 1132-3-3 ; Soc. 7 juill. 2021, n° 19-25.754 B).

Pour en revenir à la présente décision, la Cour de cassation énonce que « lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une plainte pour harcèlement moral ou sexuel ».

Dans ce cas donc, si l’employeur motive le licenciement par une cause réelle et sérieuse et l’explicite dans la lettre de licenciement – en l’espèce, la faute grave – il revient au seul salarié de démontrer que cette cause n’est pas la cause réelle du licenciement. Finalement, tout le risque de la preuve revient au salarié, face à une preuve qui sera qui plus est « particulièrement compliquée pour lui ». Dès lors qu’aucun partage n’est opéré sur l’objet de la preuve, n’est-ce pas que le mécanisme probatoire spécifique de l’article L. 1154-1 ne s’applique pas ?

Ou alors, seconde lecture, est-ce que cela signifie qu’en cas d’existence d’une cause réelle et sérieuse dans la lettre de licenciement, le salarié doit apporter « des éléments de faits laissant supposer… » et qu’à cette fin la seule proximité temporelle entre le dépôt de plainte pour harcèlement et le licenciement ne suffit pas ? Mais, dans ce cas, la formule de la chambre sociale manquerait cruellement de nuances. Et, il aurait été somme toute plus limpide que noter que : lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié d’apporter des éléments de faits laissant supposer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une plainte pour harcèlement moral ou sexuel, à charge pour l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute mesure de rétorsion. La seule proximité temporelle entre la dénonciation et le licenciement ne suffit pas à supposer que la rupture du contrat de travail constitue une mesure de rétorsion.

Pour en revenir à la première lecture, si dans pareille situation, le régime probatoire n’est pas aménagé au profit du salarié, une nouvelle interrogation surgit. Cela signifierait-il qu’en matière de dénonciation de crimes et délits dans l’entreprise, le salarié licencié bénéficie d’un mécanisme probatoire plus souple, tandis qu’en matière de dénonciation d’un harcèlement dans l’entreprise, le salarié licencié ne bénéficie pas de ce mécanisme probatoire plus souple ? Or, un harcèlement n’est-il pas un délit ?

« Dans le cas contraire… »

La chambre sociale poursuit en énonçant que « dans le cas contraire, il appartient à l’employeur de démontrer l’absence de lien entre la dénonciation par le salarié d’agissements de harcèlement moral ou sexuel et son licenciement » (§ 5). Nous achoppons alors sur la formule « dans le cas contraire ». Deux hypothèses apparaissent.

Premièrement, « dans le cas contraire » pourrait être traduit par « lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement ne caractérisent pas une cause réelle et sérieuse de licenciement ». C’est la lecture qui semble la plus plausible, au regard du sommaire de l’arrêt, qui est agrémenté d’une seconde incise (« Dans le cas contraire, lorsque le licenciement n’est pas fondé par une cause réelle et sérieuse… »). Ce serait l’hypothèse dans laquelle la lettre de licenciement ne prévoit aucune cause de licenciement ou fait référence à une cause insuffisante à fonder le licenciement. Dans ce cas, c’est à l’employeur de démontrer l’absence de lien entre la dénonciation du harcèlement et le licenciement. En d’autres termes, le défaut de cause réelle et sérieuse fait présumer le lien entre la dénonciation et le harcèlement, à charge pour l’employeur de renverser cette présomption. S’il n’y parvient pas, le licenciement est frappé de nullité. Mais que se passe-t-il s’il parvient à démontrer l’absence de lien entre la dénonciation d’un harcèlement et le licenciement ? À nouveau, deux suppositions.

Dans la première supposition, le licenciement échappe à la nullité puisqu’il ne constitue pas une mesure de rétorsion, mais n’évite pas la qualification de « licenciement sans cause réelle et sérieuse » puisqu’une telle cause était absente de la lettre de licenciement. Le licenciement est sanctionné, mais le juge doit appliquer les barèmes de l’article L. 1235-3 du code du travail.

Dans la seconde supposition, le juge considère que le licenciement est justifié a posteriori. Imaginons que l’employeur ait fondé le licenciement sur l’insuffisance professionnelle du salarié. Or, dans la lettre de licenciement, il s’est contenté de mentionner « insuffisance professionnelle » sans motiver par des éléments précis ou bien en arguant d’une perte de confiance envers le salarié. Le licenciement n’est alors pas fondé sur une cause réelle et sérieuse. Une action en justice est formée par le salarié, qui impute le licenciement à sa dénonciation d’un harcèlement. L’employeur apporte les éléments de faits nécessaires pour caractériser l’insuffisance professionnelle du salarié. Le juge pourrait-il considérer que tout compte fait le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse ? L’employeur échapperait alors à toute sanction, ce qui serait plus que bienveillant à son égard !

La Cour d’appel d’Amiens avait déduit de la proximité temporelle entre le dépôt de plainte pour dénonciation d’un harcèlement sexuel et le licenciement la cause réelle de ce dernier et avait conclu à sa nullité. La Cour d’appel de Douai, sur renvoi, devra déterminer si les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisaient une cause réelle et sérieuse (en l’espèce, il semblait être question d’une faute grave) et en tirer les conséquences en matière de charge de la preuve, avec toutes les difficultés probatoires que cela entraînera.

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Un employeur peut-il surveiller l’activité de ses salariés par le biais du « client mystère » ?

Si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été porté préalablement à leur connaissance ainsi qu’à celle de leurs représentants. Tel est notamment le cas d’un dispositif de type « client mystère » qui peut constituer un mode de preuve licite à ces conditions (Cass. Soc., 6 septembre 2023, n°22-13.783).

La preuve d’une faute commise par le salarié se heurte parfois à des considérations tenant au respect de la vie privée. La loyauté de la preuve commande en particulier l’éviction de toute forme de stratagème clandestin. Il est, dans ce contexte, aujourd’hui jugé en jurisprudence que le droit à la preuve « peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi » (Soc. 10 nov. 2021, n° 20-12.263).

Indépendamment de ce dernier assouplissement apporté par la chambre sociale, la première question pourra être celle de la définition de la preuve considérée licite. Sur ce terrain, l’information préalable du salarié apparait la condition essentielle identifiée jusqu’alors. Peut-on par exemple valablement licencier disciplinairement un salarié après avoir surveiller l’activité de ses salariés au moyen d’un dispositif de contrôle par « client mystère » ? C’est en substance à cette dernière question que l’arrêt rendu le 6 septembre 2023 par la chambre sociale de la Cour de cassation apporte des éléments de réponse.

En l’espèce, une personne engagée en qualité d’employé de restaurant libre-service s’est vu licenciée pour faute disciplinaire à la suite du constat d’une défaillance constatée via un dispositif de contrôle de type « client mystère ». Était en effet en cause le non-respect de procédures d’encaissement mises en place dans l’entreprise. L’employeur disposait d’une fiche d’intervention d’une société mandatée pour effectuer ce type de contrôle, de l’un desquels il est résulté qu’aucun ticket de caisse n’avait été remis après l’encaissement de la somme demandée. L’intéressé, contestant notamment la licéité du mode de preuve utilisé, va saisir les juridictions prud’homales pour contester le licenciement subséquent.

Les juges du fond déboutèrent le salarié de ses demandes, de sorte que celui forma un pourvoi en cassation.

La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie de la question va valider le raisonnement de la cour d’appel et rejeter le pourvoi.

Si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été porté préalablement à leur connaissance ainsi qu’à celle de leurs représentants.

En l’espèce les juges du fond avaient bien constaté que le salarié avait été préalablement informé de la mise en œuvre au sein de l’entreprise d’un dispositif dit du « client mystère » permettant l’évaluation professionnelle et le contrôle de l’activité des salariés.

Partant, il devait s’en déduire la licéité des éléments de preuve issus de l’intervention d’un client mystère, produits par l’employeur pour établir la matérialité des faits invoqués à l’appui du licenciement disciplinaire.

C’est qu’en effet l’article L. 1222-3 du code du travail prévoit que pour surveiller l’activité de ses salariés un employeur doit expressément informer, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en œuvre à leur égard.

En l’espèce, l’employeur avait en particulier fourni un compte rendu de réunion du comité d’entreprise faisant état de la visite de « clients mystères » avec mention du nombre de leurs passages, ainsi qu’une note d’information aux salariés sur ce dispositif qui porte la mention « pour affichage … » et expliquant tant son fonctionnement que son objectif.

La Cour de Cassation a déjà eu l’occasion de préciser qu’un dispositif de contrôle des salariés peut servir à prouver une faute pourvu que l’employeur les en ait préalablement informés : en matière de recours à des détectives privés (Soc. 23 nov. 2005, n° 03-41.401), ou encore dans le cadre de l’usage de la géolocalisation des salariés (Soc. 3 nov. 2011, n° 10-18.036), et récemment confirmé avec l’usage de la vidéosurveillance (Soc. 10 nov. 2021, n° 20-12.263 P).

Elle a en outre souligné que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut surveiller l’activité de ses salariés en produisant des éléments portant atteinte à leur vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

La solution apparait respectueuse des droits du salarié tout en ménageant à l’employeur une certaine latitude probatoire afin de pouvoir mettre en exergue des manquements parfois difficiles à établir. Elle permet en effet à l’employeur de faire jouer l’aléa du contrôle. Ainsi n’est-il pas exigé que le salarié sache précisément quand il va faire l’objet d’un contrôle, mais seulement qu’il est susceptible d’en subir un, ainsi que, le cas échéant, ses éventuelles modalités.

S. Jourquin a fait du droit du travail son domaine d’expertise. Contactez notre cabinet d’avocats à Sophia Antipolis pour être accompagné dans le cadre d’une procédure de licenciement.

 

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Travail temporaire et succession de missions : l’inobservation du délai de carence ne permet pas la requalification à l’égard de l’entreprise utilisatrice

Le non-respect du délai de carence peut-il constituer un motif de requalification de contrat en CDI ?

Aucune disposition ne prévoit, dans le cas de la succession d’un contrat de travail temporaire et d’un contrat de travail à durée déterminée au bénéfice de l’ancienne entreprise utilisatrice, la sanction de la requalification en contrat de travail à durée indéterminée en cas de non-respect du délai de carence. Un travailleur intérimaire ne peut en conséquence obtenir – à l’égard de l’entreprise utilisatrice – la requalification de contrat en CDI au motif que les missions se sont succédées sans qu’ait été respecté le délai de carence.

Dans ce cas d’espèce jugé par la Cour de Cassation (Soc., 27 septembre 2023, n°21-21.154), un salarié a été mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail temporaire sur le fondement d’un contrat de mission (C. trav., art. L. 1251-11) justifié par un accroissement temporaire d’activité (C. trav., art. L. 1251-6, 2°). Le salarié a effectué plusieurs missions sur une période de trois mois, entre septembre et novembre 2015. À la fin de son dernier contrat de mission, le salarié a conclu un CDD avec l’entreprise utilisatrice pour une durée de trois mois entre novembre 2015 et février 2016.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes contre l’entreprise utilisatrice afin de voir requalifiés ses contrats de mission, conclus entre septembre et novembre 2015, en CDI, d’une part, et son CDD, conclu en novembre 2015 directement à la suite du terme des contrats de mission, en CDI, d’autre part.

Au soutien de sa première demande de requalification de ses contrats de mission en CDI, le salarié reproche à l’entreprise utilisatrice d’avoir cherché, par le biais des différents contrats de mission, à pourvoir durablement un emploi permanent lié à son activité normale. Il est constant que le recours au travail temporaire dans ces conditions expose l’entreprise utilisatrice à la requalification de la relation de travail en un CDI (C. trav., art. L. 1251-40 et art. L. 1251-5).

L’entreprise utilisatrice justifie toutefois de la licéité du recours au travail temporaire au cas particulier en fournissant des éléments pertinents (conclusions de nouveaux contrats de sous-traitance sur divers chantiers, intensification ponctuelle des interventions en plomberie à l’issue de la réalisation des travaux de gros œuvre, etc.). Le salarié est donc logiquement débouté sur ce fondement devant les juges du fond.

La seconde demande du salarié est plus intéressante sur le plan juridique. Le salarié estime en effet que son CDD doit faire l’objet d’une requalification de contrat en CDI au motif qu’aucun délai de carence n’a été observé entre le dernier contrat de mission et le CDD. L’article L. 1251-36 du code du travail impose il est vrai le respect d’un délai de carence à l’expiration d’un contrat de mission, pour recourir à un CDD ou à un autre contrat de mission, afin de pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin. Les juges du fond relèvent toutefois qu’aucun texte ne prévoit, dans le cas d’une succession d’un CTT et d’un CDD au bénéfice de l’ancienne entreprise de travail utilisatrice, la sanction de la requalification de contrat en CDI en cas de non-respect du délai de carence. Le salarié est donc débouté de sa demande de requalification.

La Cour de cassation retient l’analyse des juges du fond et relève que les cas de requalification d’un contrat de mission, à l’égard de l’entreprise utilisatrice, sont visés par l’article L. 1251-40 du code du travail (cas de requalifications automatiques, ou « requalification-sanction »). Constatant que la violation du délai de carence prévu par l’article L. 1251-36 du code du travail n’est pas expressément visé par l’article L. 1251-40 du même code, la Cour de cassation conclut au rejet du pourvoi formé par le salarié et confirme l’arrêt rendu en appel ayant débouté le salarié de sa demande de requalification de contrat en CDI.

La décision de la Cour de cassation était prévisible au regard de la rédaction des textes et de sa jurisprudence. Le salarié conserve toutefois une action en requalification contre l’entreprise de travail temporaire en cas de violation du délai de carence.

 

Le non-respect du délai de carence entre un contrat de mission et un CDD ne permet pas la requalification de contrat en CDI

Le délai de carence entre un contrat de mission et un CDD est un cas qui n’est pas visé aux articles L. 1251-39 (poursuite du contrat de mission sans nouveau contrat) et L. 1251-40 (recours au travail temporaire sans motif légitime, recours au travail temporaire pour pourvoir à un emploi permanent dans l’entreprise, remplacement d’un gréviste, etc.) du code du travail.

De plus, le salarié conserve une action en requalification auprès de l’entreprise de travail temporaire

L’action en requalification du contrat de mission était, au cas d’espèce, dirigée contre l’entreprise utilisatrice exclusivement. Dans le silence de la loi, la jurisprudence admet toutefois que l’action en requalification puisse également être dirigée contre l’entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’œuvre est interdite n’ont pas été respectées (Soc. 19 avr. 2000, n° 97-45.508).

En pratique, l’action en requalification dirigée contre l’entreprise de travail temporaire, portant sur l’exécution du contrat de mission, est quasi indissociable d’une demande indemnitaire fondée sur sa rupture. En d’autres termes, ce que cherchera le salarié ce n’est pas tant de nouer une relation contrainte avec l’entreprise de travail temporaire que d’obtenir d’elle une indemnisation.

Ainsi le salarié est-il fondé à demander la requalification de son contrat de mission en CDI auprès de l’entreprise de travail temporaire en cas de non-respect du délai de carence prévu par l’article L. 1251-36 du code du travail entre plusieurs missions dans la même entreprise utilisatrice (Soc. 12 juin 2014, n° 13-16.362 P).

Cette action permet au salarié de bénéficier d’un débiteur supplémentaire, ce d’autant que la Cour de cassation admet que le salarié puisse demander que les entreprises de travail temporaire et utilisatrice soient condamnées in solidum à réparer le préjudice né de l’effet de cette requalification (Soc. 20 déc. 2017, n° 15-29.519 P, 12 nov. 2020, n° 18-18.294 P).

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 2020, le salarié avait pris soin de scinder son action en requalification contre deux débiteurs distincts : le moyen tiré du non-respect du délai de carence était dirigé contre l’entreprise de travail temporaire (ainsi que l’admet la Cour de cassation, Soc. 12 juin 2014, n° 13-16.362) et le moyen tiré du non-respect d’un motif légitime de recours au travail temporaire (C. trav., art. L. 1251-5 et L. 1251-6) était dirigé contre l’entreprise utilisatrice. L’action en requalification a abouti et les deux entreprises ont été condamnées in solidum à supporter les conséquences de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, à l’exception de l’indemnité de requalification, dont l’entreprise utilisatrice était seule débitrice.

Cette stratégie aurait sans doute été préférable au cas d’espèce : mettre en cause l’entreprise de travail temporaire permet de multiplier les débiteurs, et donc les chances de voir son action prospérer.

 

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