Les demandes nouvelles en cause d’appel : l’identité de fins toujours en cause

La Cour de cassation a récemment clarifié les contours de ce qu’on appelle les demandes nouvelles en appel dans le cadre d’un litige prud’homal (Cass. soc., 6 nov. 2024, n° 22-17.335). Elle rappelle que toutes les prétentions supplémentaires formulées en cause d’appel ne sont pas automatiquement recevables, même si elles semblent liées au litige initial. Ce faisant, elle met un coup d’arrêt à une lecture trop souple de la notion d’« identité de fins » entre les demandes de première instance et celles soumises en appel.

Une salariée multiplie les demandes : toutes ne sont pas recevables

L’affaire concerne une ancienne responsable RH licenciée en 2018, qui saisit les prud’hommes pour contester les conditions de son licenciement et l’exécution de son contrat. En première instance, elle invoque un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, en lien avec une surcharge de travail et un défaut de contrôle de ses horaires.
En appel, elle élargit ses demandes. Elle réclame notamment le paiement d’heures supplémentaires, des indemnités pour repos compensateurs non accordés, et une réparation au titre du travail dissimulé, en invoquant la nullité de sa convention de forfait jours.

La Cour d’appel accepte les demandes, mais la Cour de cassation les rejette

La Cour d’appel valide ces nouvelles demandes, considérant qu’elles poursuivent la même finalité : la réparation du préjudice subi du fait de l’organisation du temps de travail. Mais la Cour de cassation casse cette décision. Selon elle, les demandes nouvelles en appel – paiement d’heures supplémentaires, repos compensateurs, travail dissimulé – ne visent pas les mêmes fins que la demande initiale en dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité.
Ces demandes ne sont ni l’accessoire, ni la conséquence, ni le complément nécessaire de la demande d’origine. Autrement dit, on ne peut pas les rattacher à la première demande de façon logique ou juridique.

Des objectifs différents, même dans un même litige

La décision met en lumière une réalité : deux demandes peuvent concerner l’exécution d’un même contrat de travail, mais poursuivre des objectifs très différents. L’une peut viser à compenser un préjudice moral ou physique (obligation de sécurité), l’autre à réclamer une contrepartie financière à un travail non rémunéré (heures supplémentaires, repos compensateurs).
La jurisprudence avait parfois accepté de lier certaines demandes entre elles, au nom d’une logique indemnitaire commune. Par exemple, la Cour a déjà admis que des demandes pour licenciement abusif et pour non-reclassement pouvaient être considérées comme tendant aux mêmes fins. Mais ici, elle ferme la porte à un raisonnement trop large autour de l’« identité de fins » et des demandes nouvelles en appel.

Une volonté de recentrer le débat sur le principe du contradictoire

Cette décision s’inscrit dans une volonté de garantir un débat équitable en appel. Si une partie peut introduire en appel des demandes nouvelles trop éloignées du litige initial, elle prive l’autre partie (l’intimé) de la possibilité d’avoir eu un premier jugement sur ces éléments. C’est le respect du double degré de juridiction qui est ici protégé.

Un rappel bienvenu pour les praticiens du droit social

Pour les avocats et juristes en droit du travail, cet arrêt rappelle la nécessité de formuler toutes les demandes dès la première instance. Toute extension du litige en appel doit pouvoir démontrer un lien clair et direct avec les prétentions initiales, sous peine d’irrecevabilité.

Ce recentrage sur l’interprétation stricte des textes (articles 564 et 565 du Code de procédure civile) contribue à stabiliser la procédure prud’homale, tout en fixant les limites de l’« identité de fins » invoquée trop largement par certaines parties — un repère utile pour éviter des demandes nouvelles en appel irrecevables.

Poursuivez votre lecture sur les demandes nouvelles en appel.

La réforme de la procédure d’appel en matière sociale

La nouvelle procédure devant le Conseil de prud’hommes

Fiche pratique des délais de prescription en matière sociale

Reçu pour solde de tout compte non signé : quel effet sur le délai de prescription ?

Dans un arrêt du 14 novembre 2024 (n° 21-22.540), la Cour de cassation a rappelé qu’un solde de tout compte non signé par le salarié n’a aucune portée juridique : il ne vaut ni preuve du paiement des sommes mentionnées, ni point de départ du délai de prescription des actions en justice.

L’affaire portait sur un salarié licencié par la société Renault après 32 ans d’ancienneté. À l’issue de son préavis, il est incarcéré pour une durée de quatre ans. Ce n’est qu’après sa libération qu’il saisit la juridiction prud’homale pour réclamer notamment des sommes mentionnées dans le reçu pour solde de tout compte non signé, qu’il n’avait jamais signé.

L’employeur invoquait la prescription, estimant que les demandes étaient tardives. Les juges du fond lui avaient donné tort, considérant que l’absence de signature du reçu empêchait toute prescription de courir. La Cour de cassation a censuré ce raisonnement.

Elle rappelle que si le reçu pour solde de tout compte est signé par le salarié, il peut produire un effet libératoire pour les sommes qui y figurent, à condition que le salarié ne le dénonce pas dans les six mois suivant la signature. Mais s’il n’est pas signé, il ne produit aucun effet. En revanche, cela ne veut pas dire que le salarié peut agir sans limite de temps : même en cas de solde de tout compte non signé, la prescription reste applicable.

Le salarié dispose toujours d’un délai de deux ans à compter du moment où il connaît ou aurait dû connaître les faits pour agir devant le juge (article L. 1471-1 du Code du travail). Ce délai de prescription ne peut être suspendu que dans des cas très précis : impossibilité d’agir résultant de la loi, d’une convention, ou d’un cas de force majeure.

En l’espèce, le salarié invoquait son incarcération pour justifier qu’il n’avait pas pu agir plus tôt. Mais la Cour considère qu’il ne s’agit pas d’un empêchement légal au sens de la loi. Ce point avait déjà été tranché dans un arrêt antérieur : être en détention ne suspend pas le délai de prescription, y compris lorsque le litige porte sur un solde de tout compte non signé.

Ainsi, si le solde de tout compte non signé ne protège pas l’employeur, il ne permet pas non plus au salarié de prolonger indéfiniment son droit d’agir. Le délai de deux ans s’impose, sauf exception légale strictement définie.

Poursuivez votre lecture sur le solde de tout compte non signé.

Conséquence de l’absence de délai de contestation sur le reçu pour solde de tout compte

L’effet libératoire du reçu pour solde de tout compte

Fiche pratique des délais de prescription en matière sociale

L’imputation de l’indemnité travail dissimulé en cas de reprise de marché

En cas de reprise d’un marché avec transfert des salariés, la relation de travail entre le salarié et l’entreprise qui perd le marché est rompue, même si le salarié continue à travailler pour le nouvel employeur via un avenant à son contrat (C. trav., art. L. 8223-1).
Quand l’entreprise sortante a recours au salarié de façon illégale, par exemple en dissimulant son activité ou son emploi, elle reste responsable de lui verser une indemnité travail dissimulé forfaitaire égale à six mois de salaire (C. trav., art. L. 8221-3 et L. 8221-5, L. 8223-1). Cette indemnité vise à compenser le préjudice subi par le salarié et dissuader l’employeur d’utiliser des pratiques illégales (Cons. const. 25 mars 2011, n° 2011-111 QPC).

Dans un cas où une société de sécurité a perdu un marché et les salariés ont été repris par une autre société, la société sortante a fait l’objet d’une liquidation judiciaire. Les salariés ont demandé que l’indemnité travail dissimulé soit prise en compte dans cette liquidation.
La Cour de cassation a confirmé que, malgré le transfert des salariés, la rupture de la relation de travail avec l’entreprise sortante est effective. Par conséquent, cette entreprise reste redevable de l’indemnité travail dissimulé si elle a commis les faits prévus par la loi (C. trav., art. L. 8223-1).

Cela signifie que la responsabilité du paiement de cette indemnité n’est pas transférée à la nouvelle entreprise qui reprend le marché et les salariés, même si un avenant modifie le contrat de travail (Avenant 28 janvier 2011 à l’accord du 5 mars 2002). La décision clarifie donc que la notion de rupture de la relation de travail s’applique bien dans le cadre d’une reprise de marché avec transfert des salariés, ce qui protège le salarié et assure que l’employeur fautif assume ses obligations (Soc. 21 mai 2025, n° 23-16.540).

Cette solution confirme aussi la jurisprudence antérieure selon laquelle l’indemnité travail dissimulé est due par l’employeur qui a rompu la relation de travail, ici l’entreprise qui a perdu le marché (Soc. 11 mai 2016, n° 14-17.496).

Enfin, cette jurisprudence ne s’étend pas forcément à tous les cas de transfert de contrats de travail, car certains transferts ne rompent pas la relation de travail (C. trav., art. L. 1224-1). Ici, la rupture est caractérisée par la perte du marché et le changement d’employeur.

Poursuivez votre lecture sur l’indemnité travail dissimulé.

L’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé se cumule désormais avec l’indemnité de licenciement

La responsabilité solidaire du donneur d’ordre vise désormais les contrats d’au moins 5.000 € et non plus 3.000 €

Lutte contre le travail dissimulé : le sous-traitant doit mieux informer le donneur d’ordre

Licenciement nul d’un salarié intérimaire : la nullité du licenciement

Un licenciement est considéré comme licenciement nul d’un salarié lorsqu’il viole un droit fondamental, comme le droit d’agir en justice (Cass. soc., 3 févr. 2016, n° 14-18.600), lorsqu’il est basé sur un harcèlement moral (article L. 1152-3 du Code du travail) ou sexuel (article L. 1153-3 du Code du travail), sur une discrimination (article L. 1132-1 du Code du travail), ou encore lorsqu’il est prononcé sans autorisation de l’inspection du travail dans le cas d’un salarié protégé (Cass. soc., 15 mai 2019, n° 17-28.547).

Un salarié avait été embauché par une agence d’intérim, qui l’avait envoyé travailler chez plusieurs clients. Lors d’une de ses missions, il a eu un accident du travail. Alors qu’il était encore en arrêt, l’agence d’intérim a décidé de le licencier. Le salarié a saisi la justice pour deux choses : faire reconnaître que ses contrats d’intérim devaient être requalifiés en contrat à durée indéterminée (CDI), et demander à être réintégré dans l’entreprise.

Les juges lui ont donné raison sur la requalification en CDI, mais ont refusé sa réintégration. Selon eux, la nature particulière des contrats d’intérim rendait impossible son retour dans l’entreprise. Le salarié a contesté cette décision en se pourvoyant en cassation. La Cour de cassation lui a donné gain de cause. Elle a rappelé que le fait d’avoir signé des contrats d’intérim requalifiés en CDI ne suffit pas, à lui seul, à justifier l’impossibilité de réintégrer le salarié (article L. 1235-3-1 du Code du travail ; Cass. soc., 27 mai 2025, n° 23-23.743).

La Cour a précisé que dans le cas d’un licenciement nul, le salarié peut demander à revenir à son poste, sauf si cela est matériellement impossible. Ce type de licenciement est différent d’un licenciement simplement injustifié, qui donne seulement droit à des indemnités (article L. 1235-3 du Code du travail). Le licenciement nul, lui, permet une réparation en nature, c’est-à-dire un retour à la situation antérieure au licenciement.

Dans cette affaire, le licenciement a été jugé licenciement nul d’un salarié car il a eu lieu pendant la période de suspension du contrat liée à un accident du travail, période pendant laquelle un salarié est normalement protégé (Cass. soc., 14 nov. 2018, n° 17-18.891). Cette protection s’applique aussi aux salariés malades ou aux femmes enceintes (Cass. soc., 15 déc. 2015, n° 14-10.522).

Quand un licenciement est nul, le salarié a deux droits principaux : être réintégré dans son poste ou un poste équivalent, et être indemnisé pour la période où il n’a pas pu travailler, déduction faite des revenus de remplacement comme les indemnités journalières (Cass. soc., 25 mars 2015, n° 14-10.956).

Il arrive que la réintégration soit impossible, par exemple si l’entreprise a fermé ou a été liquidée (article L. 1235-11 du Code du travail ; Cass. soc., 4 oct. 2017, n° 16-16.441). Mais certains motifs ne suffisent pas : les mauvaises relations entre le salarié et l’employeur (Cass. soc., 14 févr. 2018, n° 16-22.360), le transfert de l’entreprise (Cass. soc., 27 mai 2009, n° 08-41.096), ou un motif économique (Cass. soc., 14 mars 2000, n° 98-41.556).

Désormais, la Cour de cassation ajoute que le type de contrat (en l’occurrence des missions d’intérim requalifiées en CDI) ne suffit pas à justifier une impossibilité de réintégration. L’entreprise d’intérim devra donc trouver des missions à proposer à son salarié, comme pour n’importe quel autre CDI (Cass. soc., 27 mai 2025, n° 23-23.743).

Poursuivez votre lecture sur le licenciement nul d’un salarié.

Nullité du licenciement d’un salarié fondé sur la dénonciation de manquements à la déontologie

Nullité du licenciement : une demande de réintégration tardive peut être abusive

L’employeur peut-il s’opposer à la réintégration du salarié en cas de nullité du licenciement ?

Plan de départ volontaire sans licenciement et Contrat de sécurisation professionnelle

 

Lorsqu’un salarié perd son emploi pour un motif économique ou lors d’un plan de départ volontaire, l’employeur doit normalement lui proposer un contrat de sécurisation professionnelle (CSP). Ce contrat permet au salarié de bénéficier d’un accompagnement pour retrouver un travail rapidement (articles L. 1233-66 et L. 1233-67 du Code du travail ; Convention du 26 janvier 2015).

Mais la Cour de cassation a précisé dans une décision du 21 mai 2025 que cette règle ne s’applique pas quand la rupture du contrat de travail se fait d’un commun accord dans le cadre d’un plan de départ volontaire, prévu par un plan de sauvegarde de l’emploi, sans aucun licenciement envisagé (Soc. 21 mai 2025, n° 22-11.901).

Dans l’affaire jugée, une entreprise avait mis en place un plan de départ volontaire, réservé à certains salariés, leur permettant de quitter l’entreprise s’ils avaient une promesse d’embauche ailleurs. Deux salariés ont signé une convention de rupture amiable avec leur employeur. Plus tard, France TRAVAIL a estimé que l’employeur aurait dû leur proposer un CSP, comme si c’était un licenciement, et a demandé une contribution financière.

Les juges d’appel ont donné raison à France TRAVAIL, mais la Cour de cassation n’a pas été d’accord. Elle a rappelé que le CSP est lié à un projet de licenciement économique, et que ce n’était pas le cas ici, car il s’agissait d’un départ volontaire accepté par les deux parties (articles L. 1233-3, L. 1233-66 et L. 1233-67 du Code du travail ; Convention CSP de 2015, art. 1 et 2).

Elle a aussi rappelé que lorsqu’un salarié accepte de partir dans ce cadre, cela ne constitue pas un licenciement, mais une résiliation amiable du contrat de travail. Cela signifie que les obligations liées au licenciement, comme la lettre de motivation ou la proposition de CSP, ne s’appliquent pas (Soc. 2 déc. 2003, n° 01-46.540 ; Soc. 24 mai 2006, n° 04-44.605 ; Soc. 8 févr. 2012, n° 10-27.176 ; Soc. 26 juin 2024, n° 23-15.527).

Cette décision confirme donc qu’un employeur n’a pas à proposer un CSP dans le cadre d’un plan de départ volontaire sans licenciement, même si la rupture du contrat est pour un motif économique. Cela permet de mieux délimiter les cas où le contrat de sécurisation professionnelle est obligatoire, et d’éviter des interprétations trop larges.

Poursuivez votre lecture sur le plan de départ volontaire ou le licenciement économique.

En cas de PSE, il faut être attentif aux mesures qu’il contient car la nullité du PSE entraîne celle des départs volontaires qu’il prévoit

La notification du motif économique de licenciement doit intervenir au plus tard au moment de l’acceptation du CSP

CRP et CSP : la notification du licenciement économique met fin à l’obligation préalable de reclassement

Ancienneté inférieure à un an et indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Quand un salarié est licencié sans motif valable (c’est-à-dire sans cause réelle et sérieuse), la loi prévoit qu’il peut recevoir une indemnité pour licenciement de la part de son employeur (article L. 1235-3 du Code du travail). Mais une question se pose souvent : que se passe-t-il si le salarié a moins d’un an d’ancienneté dans l’entreprise ? Et si cette entreprise est une petite structure, avec moins de 11 salariés ?

Un cas récent a été jugé à ce sujet. Un salarié, licencié pour faute grave, avait travaillé moins d’un an dans une petite entreprise. Il a saisi la justice pour demander une indemnité, estimant que son licenciement n’était pas justifié. Les juges d’appel lui ont alors répondu qu’il ne pouvait rien toucher, car il n’avait pas un an d’ancienneté et l’entreprise comptait moins de 11 salariés (Cour de cassation, Soc. 12 juin 2024, n° 23-11.825).

Mais la Cour de cassation n’a pas été d’accord avec cette décision de la Cour d’appel. Elle a rappelé qu’un salarié, même s’il avait moins d’un an d’ancienneté, peut recevoir une indemnité si son licenciement est jugé injustifié (article L. 1235-3 du Code du travail). Ce droit existe même si le salarié ne peut pas (ou ne veut pas) être réintégré dans l’entreprise (article L. 1235-3 du Code du travail).

La loi prévoit que cette indemnité peut aller jusqu’à un mois de salaire brut pour les salariés ayant moins d’un an d’ancienneté (barème fixé à l’article L. 1235-3 et son tableau annexé, tel qu’issu de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018). Le juge doit en fixer le montant en fonction du préjudice subi, mais cette indemnité ne peut pas être égale à zéro (Soc. 12 juin 2024, n° 23-11.825). Cela vaut pour toutes les entreprises, y compris celles qui comptent moins de 11 salariés, car le plafond prévu dans le tableau s’applique sans distinction (interprétation de la Cour de cassation du même arrêt).

La confusion venait du fait que, dans les tableaux du Code du travail (Le tableau de l’article L. 1235-3 du Code du travail fixe les montants minimum et maximum d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, selon l’ancienneté du salarié et la taille de l’entreprise.) il est écrit « sans objet » pour l’indemnité minimale quand le salarié a moins d’un an d’ancienneté (tableau annexe à l’article L. 1235-3). Et dans le cas des petites entreprises, aucun montant maximum n’est précisé clairement dans ce tableau. Certains tribunaux avaient donc cru que cela signifiait que le salarié ne pouvait rien toucher. Mais la Cour de cassation a clarifié que cette lecture était erronée, car le plafond d’un mois de salaire brut reste applicable même dans ce cas (Soc. 12 juin 2024, n° 23-11.825).

En conclusion, même un salarié avec peu d’ancienneté a droit à une indemnité s’il est licencié sans raison valable (article L. 1235-3 du Code du travail). Cette indemnité, limitée à un mois de salaire brut, doit être décidée par le juge (Soc. 12 juin 2024, n° 23-11.825). Le fait de travailler dans une petite entreprise ne change rien à ce droit.

Poursuivez votre lecture sur  l’indemnité pour licenciement.

Avertir par téléphone un salarié de son licenciement peut rendre la rupture abusive

Licenciement en période de congé paternité : précisions relatives au régime de la protection assurée au salarié

Intégration de la participation et de l’intéressement dans le calcul de l’indemnité de licenciement

Le salarié peut notifier son départ à la retraite en cours de licenciement

À l’occasion d’un litige concernant un salarié qui avait opportunément pris sa retraite en cours de licenciement pour éviter de perdre le bénéfice de sa retraite supplémentaire à prestations définies, la Cour de cassation vient préciser à quelles conditions un départ en retraite peut constituer une rupture abusive (Cass. soc., 20 mars 2024, n°22-20.880).

 

L’enjeu de la retraite supplémentaire

Peu après avoir été révoqué de son mandat de directeur général, un cadre dirigeant est convoqué à un entretien préalable en vue d’un licenciement pour faute grave. Avant même que la procédure ne soit achevée, ce salarié, éligible à une pension de retraite, informe son employeur de son départ à la retraite, effectif dès le surlendemain.

Après avoir quitté l’entreprise, il demande à bénéficier du régime de retraite supplémentaire à prestations définies réservé aux cadres dirigeants présents dans les effectifs de l’entreprise jusqu’à la fin de leur carrière.

Les régimes à prestations définies mis en place avant le 5 juillet 2019, comme c’était le cas en l’espèce, devaient conditionner le versement des droits à la présence du bénéficiaire dans l’entreprise au moment de son départ à la retraite pour que les contributions patronales les finançant bénéficient d’un régime social de faveur (CSS art. L 137-11). Ces régimes sont dits « à droits aléatoires » par opposition à ceux instaurés depuis le 5 juillet 2019 et fonctionnant à droits certains.

Après avoir essuyé un refus, il saisit la juridiction prud’homale, à laquelle il demande notamment d’ordonner à son employeur de remettre à l’assureur les documents nécessaires pour bénéficier de ce régime de retraite. La Cour d’appel fait droit à sa demande.

L’employeur se pourvoit en cassation. Devant la Haute Juridiction, il soutient que le salarié a commis un abus de droit en faisant valoir ses droits à la retraite pour échapper aux conséquences d’un licenciement pour faute grave.

L’enjeu est de taille, puisque le départ à la retraite du salarié lui a permis d’échapper au licenciement et, ainsi, de remplir la condition d’achèvement de sa carrière dans l’entreprise requise pour bénéficier des prestations du régime de retraite supplémentaire à prestations définies. La caractérisation d’un abus de droit pourrait entraîner sa condamnation à indemniser l’employeur des sommes versées à ce titre en application de l’article L 1237-2 du Code du travail.

Il faut noter que le départ à la retraite à l’initiative du salarié ouvre également droit à une indemnité de départ à la retraite légale (C. trav. art. L 1237-9) ou bien conventionnelle ou contractuelle si elle est plus favorable, au contraire du licenciement pour faute grave, qui est privatif d’indemnités de rupture.

 

Liberté de partir à la retraite en cours de licenciement

Absence d’abus

Tout en rappelant que la rupture d’un contrat à durée indéterminée à l’initiative du salarié ouvre droit, si elle est abusive, à des dommages-intérêts pour l’employeur, la Cour de cassation balaie l’argumentation du pourvoi.

La Cour d’appel a confirmé que le salarié avait le droit de faire valoir ses droits à la retraite même pendant une procédure de licenciement disciplinaire. D’une part, il avait informé son employeur de son départ imminent à la retraite, prévu pour le lendemain, et avait demandé la liquidation de sa retraite pour le surlendemain. D’autre part, son contrat de travail ne stipulait pas de préavis en cas de départ à la retraite.

La Cour d’appel a également constaté que le salarié remplissait la condition de présence dans les effectifs de l’entreprise au moment de la liquidation de sa retraite, comme le prévoyait le régime de retraite supplémentaire de l’entreprise. En conséquence, elle a ordonné à l’employeur de remettre à l’assureur les documents nécessaires pour permettre au salarié de bénéficier de ce régime de retraite.

Il faut noter que le contentieux du caractère abusif de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié concerne le plus souvent la démission. À titre d’illustrations, constitue une rupture abusive du contrat de travail le fait pour un mannequin de rompre brusquement son contrat de travail au cours de la journée de présentation de la collectio,n qui comprenait des modèles créés sur ses propres mesures (Cass. soc. 19 juin 1959 n° 58-40.515), pour un VRP de prospecter pour un concurrent avant sa démission et de n’informer son employeur de cette situation que lorsque celui-ci le surprend lors d’un salon sur le stand du concurrent (Cass. soc. 1 avril 1992 n° 88-42.056) ou encore pour un chauffeur de poids lourd de conserver des documents importants, en l’occurrence les disques tachygraphiques du camion (Cass. soc. 4 juin 1987 n° 84-45.536).

La Cour de cassation ne s’était pas prononcée, à notre connaissance, avant l’arrêt du 20 mars 2024, sur le bénéfice des prestations prévues par un régime à prestations définies à droits aléatoires en cas de départ à la retraite en cours de procédure de licenciement. On rappellera qu’elle a jugé que la perte d’une chance de bénéficier des prestations prévues par un régime à prestations définies à droits aléatoires subie par un salarié victime d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être indemnisée (Cass. soc. 11 mai 2011 n° 09-71.350).

Pas de préavis de départ à la retraite en cours de licenciement

Les juges du fond ont considéré qu’aucun préavis n’était dû par le salarié, car son contrat de travail ne prévoyait un préavis de 6 mois qu’en cas de démission ou de licenciement mais non en cas de départ à la retraite en cours de licenciement.

Conformément à l’article L 1237-10 du Code du travail, le préavis que doit respecter un salarié démissionnant pour prendre sa retraite est équivalent, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, au préavis prévu en cas de licenciement selon l’article L 1234-1 du même Code. Ce préavis est donc d’un mois pour une ancienneté comprise entre 6 mois et 2 ans, et de deux mois pour une ancienneté d’au moins 2 ans. Pour l’appréciation du caractère plus favorable d’un préavis conventionnel, lorsque l’initiative du départ à la retraite est le fait du salarié, on peut, à notre sens, transposer la jurisprudence rendue par la Cour de cassation en cas de démission et selon laquelle seul un délai plus court est plus favorable au salarié (voir, par exemple, Cass. soc. 19 juin 1996 n° 93-44.728).

Toutefois, lorsque le salarié est tenu à un préavis et qu’il ne s’y conforme pas, l’inexécution du préavis se résout par le versement par le salarié d’une indemnité compensatrice (Cass. soc. 18 juin 2008 n° 07-42.161) égale aux salaires et avantages qu’il aurait perçus s’il avait travaillé (Cass. soc. 17 décembre 1987 n° 85-42.089).

Preuve à la charge de l’employeur

Enfin, la Cour de cassation rappelle que c’est à l’employeur qu’il appartient de rapporter la preuve de l’abus de droit du salarié, conformément à la jurisprudence constante rendue en matière de démission abusive (Cass. soc. 22 juin 1994 n° 90-42.143; Cass. soc. 12 février 2002 n° 99-43.858 et Cass. soc. 29 janvier 2002 n° 98-44.430).

La décision

Le salarié peut exercer son droit à la retraite dès qu’il remplit les conditions requises, même si une procédure de licenciement disciplinaire est en cours. Aucun abus n’est à déplorer de sa part s’il informe l’employeur de son départ à la retraite volontaire, effectif dès le lendemain, surtout lorsque son contrat de travail ne spécifie pas de préavis dans ce contexte. La condition de présence du salarié dans les effectifs de l’entreprise lors de la liquidation de ses droits à retraite prévue par le régime de retraite supplémentaire mis en place dans l’entreprise étant remplie, l’employeur doit remettre à l’assureur les documents nécessaires au bénéfice dudit régime de retraite.

Pour toute question ou besoin d’accompagnement en matière de droit du travail, n’hésitez pas à contacter le cabinet d’avocats Stéphanie Jourquin. Nous sommes à vos côtés pour vous conseiller et vous défendre avec expertise et engagement. »

 

Modification du lieu de travail : de nouveaux éléments pour identifier le secteur géographique

Pour la Cour de cassation, les frais supplémentaires générés par l’utilisation du véhicule personnel constituent un critère pouvant être pris en compte pour apprécier l’étendue du secteur géographique et déterminer si la modification du lieu de travail du salarié constitue une modification de son contrat de travail (Cass. soc., 24 janvier 2024, n°22-19.752).

 

Toute modification du lieu de travail n’entraîne pas un changement du contrat de travail

En l’absence de clause spécifique stipulant le lieu de travail ou de clause de mobilité, et à condition que la nature de l’emploi n’implique pas une certaine mobilité géographique ou n’ait pas un caractère exceptionnel, c’est le changement de secteur géographique qui détermine la modification du contrat de travail.

Bien que la Cour de cassation ait introduit le concept de secteur géographique, elle n’en a donné aucune définition précise, demandant simplement que l’évaluation de l’identité du secteur géographique repose sur des éléments objectifs (Cass. soc. 4 mai 1999 n° 97-40.576). Il revient donc aux juges du fond de déterminer, à partir d’un faisceau d’indices, si la mutation intervient ou non dans le même secteur géographique, la Cour de cassation exerçant son contrôle sur ce point.

Parmi les critères retenus par la jurisprudence on retrouve :

–  l’identité du bassin d’emploi (Cass. soc. 23 mai 2013 n° 12-15.461 ; Cass. soc. 20 février 2019 n° 17-24.094) ;

–  la distance entre les deux lieux de travail et leur desserte par les transports publics (Cass. soc. 15 juin 2004 n° 01-44.707 ; Cass. soc. 4 mars 2020 n° 18-24.473).

–  le réseau routier et les conditions de circulation (Cass. soc. 27 septembre 2006 n° 04-47.005; Cass. soc. 4 mars 2020 n° 18-24.473).

Les juges procèdent souvent à un examen combiné de ces différents éléments pour apprécier si la nouvelle affectation constitue un simple changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l’employeur et qui s’impose donc, en principe, au salarié ou une modification du contrat de travail nécessitant l’accord préalable de ce dernier.

Dans l’arrêt du 24 janvier 2024, qui constitue une nouvelle illustration en la matière, la chambre sociale de la Cour de cassation se prononce en fonction d’éléments nouveaux.

 

Un écart de 35 km entre le site d’emploi et le nouveau lieu d’affectation

En l’espèce, une salariée avait été informée que son lieu de travail devait être transféré à plusieurs kilomètres. À la suite de sa contestation, elle avait été licenciée pour faute grave, licenciement considéré comme abusif par la Cour d’appel, qui a estimé que les deux lieux de travail ne faisaient pas partie du même secteur géographique, en s’appuyant notamment sur les moyens de transport à disposition.

À l’appui de son pourvoi, l’employeur faisait valoir que seulement 35 km séparaient l’ancien et le nouveau lieu de travail, les deux sites appartenant par ailleurs au même département et dépendant de la même chambre de commerce et d’industrie. Il en déduisait que la modification du lieu de travail s’opérait dans le même bassin d’emploi et le même secteur géographique, et constituait donc un simple changement des conditions de travail. Arguments rejetés par la chambre sociale de la Cour de cassation.

 

L’absence de transports en commun facilement accessibles et de covoiturage est prise en compte…

Confirmant la position des juges du fond, la Haute Juridiction considère que ces derniers avaient bien fait ressortir que les deux localités ne faisaient pas partie du même secteur géographique :

  • celles-ci n’étaient pas situées dans le même bassin d’emploi,
  • au vu des horaires de travail il était manifeste que le covoiturage était difficile à mettre en place,
  • l’employeur ne produisait aucune pièce permettant de démontrer que les transports en commun étaient facilement accessibles entre les deux communes aux horaires de travail de la salariée.

Il faut noter que traditionnellement, la Haute Juridiction a tendance à considérer que la facilité de déplacement et l’existence de moyens de transport en commun sont des critères plus déterminants que celui de la distance proprement dite entre l’ancien et le nouveau lieu de travail.

Elle avait en effet déjà jugé qu’une distance de 43 km entre deux sites (donc supérieure à celle constatée ici), le second étant accessible par le train et le bus, ne constituait pas, en soi, une modification du lieu de travail (Cass. soc. 16 novembre 2010 n° 09-42337).

 

… ainsi que la fatigue et les frais engendrés par l’utilisation du véhicule personnel

Pour répondre à l’argument de l’employeur selon lequel le trajet entre les deux sites représentait seulement 36 minutes en voiture via de grands axes routiers et autoroutiers, les juges ont retenu un critère inhabituel : l’usage du véhicule personnel en matière de fatigue et de frais financiers générait, en raison des horaires et de la distance, des contraintes supplémentaires qui modifiaient les termes du contrat

L’ensemble de ces éléments amène la chambre sociale de la Cour de cassation à conclure, tout comme les juges du fond, qu’il y a eu modification du contrat de travail. Par conséquent, l’employeur a commis une faute contractuelle en imposant un nouveau lieu de travail à la salariée et ne pouvait pas lui reprocher son refus de l’accepter.

L’employeur n’ignorait sans doute pas que le nouveau lieu de travail n’était desservi par aucun transport en commun. En imposant la nouvelle affectation à la salariée, il l’obligeait de fait à utiliser son véhicule personnel et à supporter les frais supplémentaires implicites. L’équilibre économique même du contrat en était modifié, et l’accord exprès de la salariée était donc requis.

 

La Décision :

Ayant relevé que le site d’emploi et le nouveau site d’affectation étaient distants de 35 kilomètres et n’étaient pas situés dans le même bassin d’emploi, qu’au vu des horaires de travail il était manifeste que le covoiturage était difficile à mettre en place, que l’employeur ne produisait aucune pièce permettant de démontrer que les transports en commun étaient facilement accessibles entre les deux communes aux horaires de travail de la salariée, et que l’usage du véhicule personnel en matière de fatigue et de frais financiers générait, en raison des horaires et de la distance, des contraintes supplémentaires qui modifiaient les termes du contrat, la cour d’appel a fait ressortir qu’ils ne faisaient pas partie du même secteur géographique. Par conséquent, l’employeur avait commis une faute contractuelle en imposant le nouveau lieu d’affectation à la salariée et ne pouvait pas lui reprocher son refus d’intégrer ce site.

 

Notre cabinet d’avocats à Nice est spécialisé en Droit du Travail. Vous pouvez aussi nous contacter pour être conseillé en cas de révision des clauses de mobilité de votre contrat.

 

Poursuivez votre lecture sur la mobilité des salariés

Le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail n’est pas du temps de travail effectif

Trajets domicile-travail : temps de travail effectif des salariés itinérants et détermination des contreparties

La contrepartie au dépassement du temps normal de trajet domicile-travail doit être suffisante

 

Trajets domicile-travail : temps de travail effectif des salariés itinérants et détermination des contreparties

Les temps de trajet entre domicile et lieu de travail ne validant pas les critères de qualification du temps de travail effectif des salariés itinérants n’y sont en principe pas assimilés. Le juge du fond est souverain pour évaluer si le travail réalisé à domicile est suffisamment important pour pouvoir qualifier ces trajets de déplacement entre lieux de travail entraînant la qualification d’un temps de travail effectif. La règle imposant la consultation du CSE pour tout engagement unilatéral de l’employeur définissant les contreparties à ces temps de trajet lorsqu’ils sont anormaux est d’ordre public (Soc., 25 octobre 2023, n°20-22.800).

Cet arrêt vient une nouvelle fois illustrer l’application des critères du temps de travail effectif des salariés itinérants.

D’une part, il établit clairement le pouvoir souverain du juge du fond quant à l’évaluation de l’importance du travail accompli à domicile pour assimiler ou pas ce dernier à un lieu de travail. D’autre part, la chambre sociale impose une application stricte de la règle selon laquelle la contrepartie unilatéralement fixée par l’employeur pour les premiers et derniers trajets anormalement longs doit être soumise à la consultation de représentants du personnel, quitte à ce que cette application se fasse à l’encontre des intérêts du salarié concerné.

Pour le salarié concerné, directeur régional d’une société pour laquelle il effectue des contrôles impliquant une nature essentiellement itinérante de son activité, la reconnaissance comme temps de travail effectif du temps de trajet entre son domicile et ses premiers et derniers lieux d’exécution du travail (chez les clients de l’employeur) présente un enjeu important. Ayant a priori obtenu l’annulation de sa convention de forfait en jours, le salarié cherche naturellement à comptabiliser précisément le temps de travail qu’il a réellement effectué afin de maximiser les demandes en paiement de rappel de salaire pour heures supplémentaires qui en découlent. L’argumentation à l’appui d’une qualification des durées de premiers et derniers trajets en temps de travail effectif des salariés itinérants se fait selon deux angles, finalement aussi infructueux l’un que l’autre.

Le salarié se fonde tout d’abord sur l’idée que ces premiers et derniers trajets sont en réalité des trajets entre deux lieux d’exécution du travail, qui en droit positif sont effectivement assimilés à un temps de travail effectif (Soc. 16 janv. 1996, n° 92-42.354 ; 16 juin 2004, n° 02-43.685 P; 5 mai 2004, n° 01-43.918 P). Ces trajets doivent être distingués de ceux reliant le domicile du travailleur et les lieux d’exécution du travail (Soc. 5 nov. 2003, n° 01-43.109 P ; 31 mai 2006, n° 04-45.217 P), ces derniers n’étant en principe pas assimilés (C. trav., art. L. 3121-4, al. 1er, Soc. 16 mai 2001, n° 99-40.789). Pour convaincre de retenir la qualification de trajet entre deux lieux de travail, le directeur met en avant le travail administratif qu’il effectue régulièrement à son domicile sur demande de son employeur et faisant l’objet d’une indemnité mensuelle spécifique.

Cependant, le volume d’heures hebdomadaires retenu par la Cour d’appel de Paris dans sa décision au moins en partie confirmative du 14 octobre 2020, soit 2h30 en se fondant sur les pièces versées au dossier est souverainement considéré comme insuffisant. La Cour de cassation approuve dès lors la cour d’appel d’avoir rejeté l’importance des tâches administratives accomplies pour conférer au domicile la qualité de lieu de travail. S’il est communément admis que le domicile peut devenir lieu de travail sur demande de l’employeur, il est intéressant de relever ici la liberté laissée aux juges du fond dans leur travail de qualification pour l’appréciation de la consistance des tâches effectuées, ici en termes de volume horaire hebdomadaire.

L’argument du domicile transformé en lieu de travail ne tenant pas, le salarié pouvait tout de même compter sur une démonstration classique. Les critères du temps de travail effectif des salariés itinérants tels qu’issus des critères jurisprudentiels, sont aujourd’hui fondés sur la définition légale précisée à l’article L. 3121-1 du code du travail. Le principe posé par l’article L. 3121-4, alinéa 1er, pour les trajets domicile-travail peut ainsi connaître des exceptions (Soc. 14 déc. 2016, n° 15-19.723 ; 23 nov. 2022, n° 20-21.924; 1er mars 2023, n° 21-12.068), ce qui est ici expressément rappelé par la Cour de cassation en tête de ses motifs, énonçant que les critères de l’article L. 3121-1 écartent l’application de l’article L. 3121-4. En l’absence de critères caractérisés, en revanche, la qualification de temps de travail effectif des salariés itinérants pour ces trajets doit bien être écartée (Soc. 20 déc. 2006, n° 04-48.525). Là, les critères présentés par le directeur régional seront systématiquement écartés par la cour d’appel, pour des motifs approuvés par la chambre sociale.

  • l’existence d’une géolocalisation du véhicule de service utilisé pour les trajets, a été jugée insignifiante en présence d’un interrupteur permettant de l’interrompre lors des trajets depuis ou vers le domicile.
  • l’existence de plannings mensuels et hebdomadaires à l’exécution contrôlée par l’employeur, contrôle s’étendant également aux heures supplémentaires effectuées et modifications d’itinéraires obligatoirement validées par l’employeur, voire jusqu’aux itinéraires eux-mêmes puisqu’un trajet insuffisamment optimisé pouvait être relevé : le contrôle ici allégué ne semble non seulement pas susceptible de s’appliquer aux premiers et derniers trajets impliquant le domicile, mais la cour d’appel relève de plus que le salarié conserve en réalité l’initiative de son circuit quotidien.
  • Il importe peu par ailleurs que le domicile soit ponctuellement celui fourni par l’employeur (Soc. 7 juin 2023, n° 21-12.841), les logements d’étape étant en l’occurrence indiqués par une note de service également invoquée par le salarié pour alléguer d’une forme de contrôle, argument intenable pour le juge du fond dès lors qu’il conservait en réalité le choix de ses « soirées étapes ».
  • La cour d’appel renforce d’ailleurs son motif par une référence au critère décisif du temps de travail effectif d’impossibilité de vaquer à ses occupations personnelles (Soc. 9 mars 1999, n° 96-45.590 ; 6 avr. 1999, n° 97-40.058), critère à écarter en l’espèce dans le cas des trajets depuis et vers les logements d’étape du directeur qui demeurait libre de les agrémenter d’étapes intermédiaires extra-professionnelles.

De manière générale, la Cour de cassation approuve enfin la cour d’appel dans son refus de la qualification de temps de travail effectif au regard du fait que les contrôles des trajets impliquant le domicile étaient pour l’essentiel rétrospectifs, justifiés par la nécessité d’une rémunération compensatrice lorsqu’ils s’avéraient anormalement longs au titre de l’article L. 3121-4, alinéa 2, du code du travail.

Les trajets entre domicile et lieux de travail anormalement longs n’étant par principe plus assimilés à du temps de travail effectif depuis la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, l’indemnité compensatrice prévue par l’article L. 3121-4, alinéa 2, ne peut être fixée par le juge sur la base d’une telle assimilation (Soc. 14 nov. 2012, n° 11-18.571). C’est pourtant ce que le salarié demande au juge en l’espèce, non sans raison : il peut s’appuyer sur un engagement unilatéral de l’employeur prévoyant une compensation pour trajet anormalement long équivalente au taux horaire normal de travail. Un tel engagement unilatéral fixant la rémunération prévue par l’article L. 3121-4, alinéa 2, est bien possible, mais légalement encadré. L’article L. 3121-7 prévoit que cette indemnité soit fixée par accord d’entreprise ou de branche, et ce n’est qu’à défaut d’une telle disposition que l’employeur peut, au titre de l’article L. 3121-8, déterminer le montant de l’indemnité après consultation des représentants du personnel dans l’entreprise.

Or en l’espèce, une telle consultation n’a pas eu lieu, ce qui pour la cour d’appel rend l’engagement unilatéral non conforme aux prescriptions légales le prévoyant et donc inapplicable pour la détermination de l’indemnité devant être versée au salarié. Un raisonnement validé par la chambre sociale, invoquant l’appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve par le juge du fond. En l’absence de toute norme applicable pour les périodes précédant ou succédant à l’engagement unilatéral, c’est donc au juge qu’il revient de déterminer la contrepartie (Soc. 14 nov., 2012, n° 11-18.571), qui ne doit simplement pas être dérisoire (Soc. 30 mars 2022, n° 20-15.022).

Au moindre doute il est préférable de demander conseil auprès d’un avocat spécialisé en droit du travail pour s’assurer l’application conforme des règles de calcul du temps effectif de travail.

 

Poursuivez votre lecture sur le calcul du temps de travail

Conditions de la requalification du temps de travail en matière de trajet professionnel

La modulation collective du temps de travail dans l’entreprise s’impose au nouveau salarié

Contrat de travail à temps partiel : attention au risque de requalification en cas d’absence de répartition du temps de travail !

 

Point de départ et prescription de l’action en requalification d’un CDD verbal en CDI

Lorsqu’en présence d’un CDD, l’employeur s’est abstenu de remettre au salarié le contrat de travail écrit, la prescription de l’action en requalification d’un CDD verbal a pour point de départ l’expiration du délai de deux jours ouvrables imparti à l’employeur pour transmettre au salarié le contrat de travail (Cass. soc., 15 mars 2023, n°20-21.774).

 

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013, le délai de prescription permettant au salarié d’obtenir la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée est de deux ans. Ce délai peut être porté à cinq ans, en vertu de l’article 2224 du Code civil, lorsque l’action consiste en une demande de qualification du contrat (Soc. 11 mai 2022, n° 20-14.421).

Quant au point de départ de cette prescription, l’ancien article L. 1471-1 du Code du travail précise qu’il est fixé « à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ».

La jurisprudence a pris le soin de préciser ces termes. Pour exemple,

  • lorsque la demande de requalification d’un CDD verbal repose sur une absence de mentions, le point de départ consiste en la date de conclusion du contrat (Soc. 3 mai 2018, n° 16-26.437) ;
  • lorsqu’elle repose sur le non-respect du délai de carence entre deux CDD successifs, le point de départ de la prescription ne court qu’à compter du premier jour d’exécution du second contrat (Soc. 5 mai 2021, n° 19-14.295).

Ces règles ont en commun l’existence d’un contrat de travail écrit, fût-il irrégulier. Cependant, la question du point de départ du contrat et de la durée de la prescription est en suspens lorsqu’elle concerne la requalification d’un CDD verbal.

En l’espèce, un salarié avait été engagé en qualité de vendeur afin d’effectuer, durant les périodes de juin et juillet 2008, plusieurs heures de travail. Cette embauche n’avait pas fait l’objet d’un écrit. Le 10 juillet 2008, l’employeur avait finalement transmis un CDD au salarié pour la période du 26 août 2008 jusqu’au 31 janvier 2009. Cette date d’échéance avait été étendue au 30 juin 2009. À l’issue du contrat, le salarié avait reçu un certificat de travail mentionnant les périodes de juin et juillet 2008, c’est-à-dire celles pour lesquelles le contrat avait été établi verbalement.

Le 17 février 2014, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir la requalification d’un CDD verbal conclu le 10 juillet 2008, en contrat à durée indéterminée à compter du 27 juin 2008. Celui-ci s’appuyait sur deux arguments. D’une part, il revendiquait l’application de la prescription de droit commun prévue par l’article 2224 du code civil. D’autre part, il faisait valoir que la prescription commençait à courir à compter du terme du dernier contrat.

La cour d’appel avait refusé de faire droit aux demandes du salarié. Selon elle, la prescription était acquise car elle avait commencé à courir le 10 juillet 2008, date du début des relations. En considérant le point de départ de la prescription au début de la relation le 27 juin 2018, l’action était prescrite, et ce indépendamment du délai retenu.

La Cour de cassation confirme l’analyse de la cour d’appel. Dans son attendu, elle précise que « le délai de prescription d’une action en requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée court, lorsque cette action est fondée sur l’absence d’établissement d’un écrit, à compter de l’expiration du délai de deux jours ouvrables imparti à l’employeur pour transmettre au salarié le contrat de travail, lorsqu’elle est fondée sur l’absence d’une mention au contrat susceptible d’entraîner sa requalification, à compter de la conclusion de ce contrat, et lorsqu’elle est fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée énoncé au contrat, à compter du terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, du terme du dernier contrat ».

En somme et dans le cas d’espèce, la relation avait officiellement commencé le 10 juillet 2008, date de la remise du CDD au salarié. Dans la mesure où le CDD préalable était établi verbalement alors, le point de départ de la prescription commençait à courir à la date précitée.

La Cour de cassation s’abstient de trancher en ce qui concerne l’option entre l’article 2224 du code civil et l’article L. 1471-1 du code du travail. Une réponse sur ce point aurait toutefois été bienvenue. En effet, la doctrine reste encore partagée sur l’octroi de la prescription quinquennale aux actions en requalification. Certains parmi elle considèrent que « l’action en requalification est […] une action dérivant d’une irrégularité tenant à la formation du contrat et, comme telle, devrait donc être soumise à la prescription quinquennale » (Soc. 3 mai 2018, n° 16-26.437, préc.), tandis que l’autre affirme que « toute différente est la demande fondée sur la transformation d’un CDD en CDI […] ; mais celle portant sur la qualification du contrat et tenant soit au motif de recours, soit à la rédaction de l’acte juridique, porte sur sa formation et sa qualification, et nullement sur son exécution. Il semble donc logique d’appliquer la prescription de droit commun, par défaut, ce qui aurait par ailleurs pour avantage de mieux garantir les droits du salarié, en lui accordant un délai d’action plus long » (Soc. 11 mai 2022, n° 20-14.421, préc.).

Dans son attendu, la Cour constate simplement que « l’action en requalification d’un CDD verbal en contrat de travail à durée indéterminée était acquise au plus tard le 10 juillet 2013 ». En somme, peu importait le choix du texte, dans les deux cas l’action du salarié était irrecevable.

Employeur et salarié, vous pouvez contacter le cabinet de Me Stéphanie JOURQUIN à Nice pour être conseillé en matière de procédure et respect du droit du travail.

 

Poursuivez votre lecture sur la requalification de contrat de travail

Calcul de l’indemnité de requalification du CDD en CDI

La requalification du CDD en CDI ne porte que sur le terme du contrat

Contrats successifs : début de la prescription de l’action en requalification de CDD en CDI

Go to Top