Durée du travail

La durée du travail correspond au temps où le salarié est à la disposition de l’employeur et où il se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

Durée légale de temps de travail

La durée légale de temps de travail pour un temps complet est de 35 heures par semaine, cependant, cette durée peut être aménagée, à la baisse ou à la hausse, par des dispositions conventionnelles ou collectives. Il est à noter qu’au-delà de la durée légale ou conventionnelle, les heures effectués sont considérés comme des heures supplémentaires et en deçà, le contrat de travail sera considéré comme à temps partiel.

Durée maximale de travail

Par ailleurs, la loi prévoit une durée maximale de travail de 10 heures par jour et de 48 heures par semaine qui ne doit pas dépasser 44 heures en moyenne sur une période de 12 semaines consécutives. Cependant, des circonstances exceptionnelles peuvent permettre de déroger à cette durée maximale ainsi que des accords d’entreprises qui priment désormais sur les conventions et accords de branches depuis la loi « Travail ». En effet, un accord d’entreprise pourra prévoir une durée quotidienne de travail pouvant aller jusqu’à 12 heures (article L 3121-19) et une durée hebdomadaire moyenne (sur 12 semaines consécutives) pouvant aller jusqu’à 48 heures (L 3121-24).

Temps de pause

De plus, un temps de pause de 20 minutes consécutives doit obligatoirement être accordé au salarié dès lors que son temps de travail quotidien atteint 6 heures consécutives. Il s’agit ici d’un temps légal minimum qui peut être augmenté par une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement.
Par ailleurs, certains points posent des difficultés pour le calcul du temps de travail. En effet, concernant le temps d’habillage, il est en principe exclu du temps effectif de travail mais il doit faire l’objet d’une contrepartie. De plus, s’agissant du temps de déplacement, il ne fait également pas partie du temps de travail effectif sauf si le temps de déplacement professionnel dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail (L 3121-4 al 2). En ce sens, le temps de trajet entre deux lieux de travail (ex : entreprise / chantier, entre deux chantiers ou deux lieux de missions) constitue, lui, du temps de travail effectif selon la jurisprudence (Cass soc, 10/04/13, n°12-12.055).

Enfin, il est à noter qu’il existe une exception relative au cadre dirigeant qui n’est soumis à aucune durée légale minimum ou maximale de travail.

Mentions obligatoires légales et conventionnelles du contrat à temps partiel d’aide à domicile

L’absence de mention de plages prévisionnelles indicatives de la répartition des horaires de travail sur le mois, exigée par une convention collective et non par la loi, n’a pas pour conséquence la requalification du contrat à temps partiel d’une salariée, aide à domicile en contrat à temps plein.

En principe, les contrats à temps partiel doivent mentionner la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail prévue, ainsi que « la répartition de la durée de travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois », exigences auxquelles la Cour de cassation attache la sanction de requalification du contrat à temps partiel en contrat présumé à temps plein (Soc. 14 mai 1987, n°20-10.734).

Cependant, cette exception ne s’applique pas au contrat signé par une auxiliaire de vie sociale recrutée en 2013 par la société Les Néréides, une entreprise d’aide à domicile qui est également la demanderesse dans ce pourvoi. Depuis l’ordonnance de 1982 et jusqu’à aujourd’hui, les salariés à temps partiel des associations, et depuis la loi n° 2005-841 du 26 juillet 2005, ceux des entreprises d’aide à domicile, sont explicitement exclus de la protection normalement assurée par la sanction en cas de défaut de mention concernant la répartition hebdomadaire ou mensuelle de la durée du travail.

Pourtant, selon l’ex-salariée licenciée en 2016 par la société Les Néréides, la requalification doit tout de même être prononcée pour ce qui concerne son contrat à temps partiel, puisqu’il fallait également se référer à la Convention collective nationale des entreprises de service à la personne du 20 septembre 2012. Cette dernière prévoit effectivement la « précision » par le contrat écrit de « la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et le mode d’organisation retenu pour la répartition des horaires de travail sur la semaine ou le mois, avec des plages prévisionnelles indicatives », ainsi que des « plages d’indisponibilité pour le personnel intervenant à domicile ».

Si l’ex-salariée est rejointe par la Cour d’appel de Toulouse qui lui donne raison dans son arrêt du 4 juin 2021, la décision est cassée par la chambre sociale de la Cour de cassation qui estime au contraire que le non-respect en l’espèce de ces exigences formelles conventionnelles n’entraîne pas la requalification, sanction qui semble dès lors réservée au non-respect des seules exigences légales.

Des manquements certains aux exigences conventionnelles

Il ne fait aucun doute que l’instrumentum du contrat de travail entre la salariée et la SARL Les Néréides, s’il ne pose pas de problème vis-à-vis des mentions légales, ne répond pas à toutes les exigences de la convention collective nationale du 20 septembre 2012.

Cette dernière est plus favorable au salarié que la loi qui, depuis 1982 et dans la version de la norme applicable au litige (c’est-à-dire l’art. L. 3123-14 anc., dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016), exclue donc la nécessité pour les structures privées d’aide à domicile de s’assurer de la mention de la répartition hebdomadaire ou mensuelle des horaires dans le contrat de travail de ses salariés à temps partiel. Ainsi, sans renverser totalement cette exclusion, la convention n’exige a minima qu’une mention du « mode d’organisation retenu pour la répartition », ce qui est en l’occurrence précisé par le contrat en l’espèce puisque celui-ci stipule que « les horaires de travail pour chaque journée travaillée seront communiqués par écrit à (la salariée) sous forme de planning mensuel d’activité ».

En réalité, la non-conformité à la norme conventionnelle découle de l’omission de mentions contractuelles requises par la convention collective nationale. Il s’agit notamment de l’absence de « plages prévisionnelles indicatives » qui devraient accompagner l’indication du mode d’organisation choisi pour la répartition du temps de travail. Dans ce cas, ces plages n’ont pas été remplies, laissant ainsi cette répartition indéfinie. Cette absence de plages prévisionnelles indicatives s’accompagne par ailleurs d’une absence, sur le même mode, d’une indication – cette fois fixe et non pas seulement indicative – des « plages d’indisponibilité ». De cette absence de définition expresse des plages prévisionnelles indicatives et des plages d’indisponibilité, la Cour d’appel de Toulouse tire donc une présomption de temps complet, que les éléments apportés par l’employeur (plannings, attestations d’autres salariés) sont insuffisants à reverser en raison de l’absence de plannings pour plusieurs mois, ainsi que de grandes variations d’amplitude horaire et de répartition hebdomadaire constatées sur les plannings existants. La cour d’appel requalifie ainsi le contrat, et condamne logiquement l’employeur au versement de sommes à titre de rappel de salaire (v. par ex., Soc. 3 juin 2015, n° 13-21.671).

Une sanction de requalification d’un contrat à temps partiel cantonnée aux exigences formelles définies par le législateur

Pour le juge d’appel, l’employeur ne renversait ainsi pas la présomption de travail à temps plein prétendument instaurée par la convention collective, au-delà de la seule norme légale. Les motifs de l’arrêt du 4 juin 2021 font effectivement preuve d’une adoption par la cour d’appel des reproches faits à l’entreprise par la salariée : « la convention collective exigeait la mention des plages d’intervention et des plages d’indisponibilité, l’absence de cette mention étant de nature à faire présumer l’existence d’un contrat de travail à temps plein ». On peut légitimement se questionner sur le fondement d’une telle affirmation, puisque la convention collective nationale, dans l’ensemble de son chapitre consacré au contrat de travail des salariés de structures privées de service à la personne, est dépourvue d’énoncé érigeant une telle présomption ou prévoyant la requalification des contrats non conformes à ses dispositions. La cour d’appel s’est ainsi implicitement fondée sur un argument confinant, en forçant quelque peu le trait, à l’assimilation de la norme conventionnelle à la norme légale.

La chambre sociale manifeste par cet arrêt du 13 mars 2024 son refus de procéder à une telle assimilation, ou plus raisonnablement à une extension de sa jurisprudence sur la sanction du défaut des mentions légales aux mentions conventionnelles. En matière d’activité d’aide à domicile, la Cour de cassation est fidèle aux exigences légales et cohérente en ce qu’elle exige la mention de la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail ; seul le défaut de mention de la répartition des horaires n’entraîne pas la sanction de requalification que la Cour, en l’absence de disposition légale expresse, a choisi pour l’ensemble de ces exigences (Soc. 2 févr. 1999, n° 96-44.596). Un choix qu’elle ne souhaite donc visiblement pas étendre aux exigences supplémentaires fixées conventionnellement, tout du moins dès lors que la convention ne prévoit pas elle-même une présomption de travail à temps complet à défaut des mentions supplémentaires qu’elle impose. Il s’agit sans doute de faire respecter les intérêts du salarié protégés par le législateur sans pour autant aller au-delà des prévisions conventionnelles, qui obéissent pour leur part à une logique d’équilibre des intérêts propre au droit négocié. Ainsi, pour la chambre sociale, « le défaut de mention dans le contrat de travail des plages prévisionnelles d’intervention et des plages d’indisponibilité de la salariée, prévues par la convention collective, ne permet pas de présumer que le contrat est à temps complet ».

Une logique erronée du juge du fond tirée d’une jurisprudence connexe ?

Face à l’argumentation de la cour d’appel, on ne peut que se demander si celle-ci ne se serait point en réalité inspirée d’un arrêt de 2013 qui valide la requalification d’un contrat à temps partiel d’un salarié d’entreprise d’aide à domicile en temps plein pour défaut de communication mensuelle écrite au salarié des horaires pour chaque journée travaillée, exigence du 3° de l’article L. 3123-14 alors applicable (Soc. 20 févr. 2013, n° 11-24.012).

Mais la critique portait uniquement sur l’absence d’une date spécifique dans le contrat à temps partiel à laquelle cette communication mensuelle devait être effectuée, combinée au fait que les plannings n’avaient jamais été réellement transmis en pratique. Ces éléments objectifs étaient suffisants pour conclure que le salarié était dans l’incapacité de prévoir son emploi du temps de manière prévisible, le contraignant ainsi à être constamment disponible pour l’employeur. Ces conditions générales permettent la requalification pour défaut de mention légale, comme cela a été observé en dehors du secteur de l’aide à domicile (voir Soc. 25 février 2004, n° 01-46.541).

Des conditions en l’occurrence abstraitement mentionnées dans l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse du 4 juin 2021 alors que cela n’était a priori pas nécessaire à l’argumentation, ni même constaté dans les faits. Malgré la variation notable des horaires et du volume horaire mensuel, des plannings manquants et des quelques incohérences entre plannings et bulletins de paie, il demeure que la salariée avait en principe accès mensuellement aux plannings, comme attesté par d’autres salariés de l’entreprise. Elle n’était donc pas forcée de se maintenir constamment à disposition de son employeur. La sanction jurisprudentielle de requalification tirée de ces conditions ne pouvait dès lors pas trouver prise en l’espèce, contrairement à ce que la cour d’appel semble avoir estimé. 

Sur Carros et ses environs prenez rendez-vous avec notre cabinet d’avocats, pour toutes questions à propos du contrat à temps partiel.

Poursuivez votre lecture sur le contrat à temps partiel.

Requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein : point de départ et durée du délai de prescription

Contrat de travail à temps partiel : attention au risque de requalification en cas d’absence de répartition du temps de travail !

Le salarié à temps partiel ne doit pas travailler à temps plein

Forfait jours : attention au suivi de la charge de travail

La Cour de cassation apporte deux intéressantes précisions sur le suivi de la charge de travail du salarié au forfait jours, l’une sur la sanction applicable s’il méconnaît les obligations mises à sa charge par la loi quand la convention collective instaurant le forfait ne prévoit pas de garanties suffisantes, l’autre quant au contenu de cette obligation (Cass. soc., 10 janvier 2024, n°22-15.782).

 

Suivi de la charge de travail par l’employeur : une obligation légale depuis 2016

Une obligation initialement imposée par la jurisprudence…

Depuis un arrêt rendu le 29 juin 2011 (Cass. soc. 29 juin 2011 n° 09-71.107), la jurisprudence exige que toute convention de forfait en jours soit prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent, d’une part, la garantie du respect des durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (Cass. soc. 5 octobre 2017 n° 16-23.106), et, d’autre part, le caractère raisonnable de l’amplitude et de la charge de travail et une bonne répartition du travail dans le temps (Cass. soc. 17 janvier 2018 n° 16-15.124).

Ces garanties passent par l’organisation d’un suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable.

Jusqu’à présent, les nombreuses décisions rendues par la Cour de cassation sur les conséquences du non-respect de ces obligations en matière de suivi de la charge de travail l’ont été en application des règles antérieures à l’entrée en vigueur de la loi 2016-1088 du 8 août 2016 (dite « loi Travail »). La chambre sociale considère, dans ce cadre, qu’une convention individuelle de forfait est :

–  privée d’effet lorsque l’employeur n’exécute pas les obligations conventionnelles concourant à la protection de la santé et de la sécurité des salariés (Cass. soc. 2 juillet 2014 n° 13-11.940 ;

–  nulle lorsque les stipulations de l’accord collectif ne sont pas de nature à assurer une telle protection (Cass. soc. 24 avril 2013 n° 11-28.398).

Il faut noter que la convention individuelle de forfait soit nulle ou privée d’effet, le temps de travail du salarié doit être décompté selon le droit commun, soit 35 heures par semaine.

Le salarié a le droit de réclamer le paiement des heures supplémentaires pour les heures travaillées au-delà de cette durée, à partir de la signature de la convention en cas de nullité, ou à partir du moment où l’employeur ne respecte pas ses obligations si la convention est annulée, dans les deux cas étant soumis à une prescription triennale.

… Reprise et renforcée par la loi travail

La loi Travail a renforcé l’obligation pour l’employeur d’assurer un suivi de la charge de travail de ses salariés, en reprenant notamment les exigences posées par la jurisprudence.

Tout d’abord, elle a repris le principe selon lequel l’employeur est tenu de s’assurer régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail (C. trav. art. L 3121-60). Cette disposition est d’ordre public.

Pour permettre à l’employeur de conclure valablement une convention individuelle de forfait en jours, un accord collectif d’entreprise ou de branche, toujours indispensable (C. trav. art. L 3121-63), doit comporter des stipulations relatives au suivi de la charge de travail précisées à l’article L 3121-64, II du Code du travail. Cet accord doit ainsi déterminer les modalités selon lesquelles :

–  l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;

–  l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sa rémunération, ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise ;

–  le salarié peut exercer son droit à la déconnexion.

Si tel n’est pas le cas, l’article L 3121-65, I du Code du travail prévoit un système de « rattrapage », au titre des dispositions supplétives, permettant à l’employeur de conclure tout de même une convention individuelle de forfait à condition pour lui :

–  d’établir un document de contrôle mentionnant la date et le nombre de journées ou demi-journées travaillées. Ce document peut être établi par le salarié sous la responsabilité de l’employeur ;

–  de s’assurer de la compatibilité de la charge de travail du salarié avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire ;

–  d’organiser un entretien annuel avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

Quels sont les effets de la méconnaissance par l’employeur de ces obligations supplétives sur la convention individuelle de forfait conclue avec le salarié ?

Plus généralement, l’employeur qui manque à ses obligations de suivi régulier de la charge de travail peut-il justifier ses manquements et ainsi échapper à toute sanction ? Si oui, quels motifs peut-il invoquer ? C’est à ces questions que répond la Cour de cassation dans deux arrêts du 10 janvier 2024.

En cas de manquement aux dispositions supplétives sur l’obligation de suivi, le forfait est nul.

Dans la première affaire (n° 22-15.782), un salarié engagé le 1er octobre 2016 et soumis à une convention de forfait en jours avait demandé au conseil de prud’hommes la nullité de cette convention.
Il faisait notamment valoir que :

–  l’accord relatif à la réduction et l’aménagement du temps de travail du 5 septembre 2003 de la convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires, servant de fondement juridique à la convention individuelle de forfait qu’il avait conclue, n’avait pas été mis en conformité avec les dispositions de l’article L 3121-64 du Code du travail issu de la loi Travail du 8 août 2016 ;

–  aucun document de contrôle sincère n’avait été mis en place par l’employeur en application de l’article L 3121-65 du Code du travail ;

–  la société ne s’était pas assurée de la compatibilité de sa charge de travail avec le respect des temps de repos hebdomadaire et quotidien, aucun entretien annuel relatif au suivi du forfait en jours n’ayant été organisé et aucune modalité du droit à la déconnexion définie.

La Cour d’appel avait donné suite à sa demande. Elle avait d’abord examiné le contenu de l’accord collectif et constaté qu’il ne respectait pas les dispositions de l’article L 3121-64 du Code du travail. Ensuite, en vérifiant si l’employeur avait respecté les dispositions supplétives prévues par l’article L 3121-65, I, elle avait conclu que ce n’était pas le cas.

Il faut noter que la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que les dispositions de l’article 3.2.1 de l’accord du 5 septembre 2003, attaché à la convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires du 9 mai 2012, et en cause en l’espèce, ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé. La convention de forfait en jours conclue en application de ce texte est donc nulle (Cass. soc. 14 décembre 2022 n° 20-20.572). Le seul moyen offert à l’employeur pour tenter d’échapper à la nullité de la convention était donc de démontrer qu’il se conformait aux dispositions de l’article L 3121-65, I du Code du travail.

Les dispositions de la convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires du 9 mai 2012 ont été révisées et modifiées en dernier lieu par un avenant n° 12 du 4 avril 2023, étendu par arrêté du 22 septembre 2023 et applicable depuis le 6 octobre 2023.

L’employeur s’était alors pourvu en cassation. Il soutenait avoir respecté les dispositions de l’article L 3121-65, I du Code du travail grâce à la mise en place d’un document de contrôle indiquant le nombre et la date des journées et demi-journées travaillées, validé par le salarié via les documents de suivi mensuel. Il affirmait qu’il était nécessaire de vérifier si la discordance relevée entre le tableau et les jours travaillés n’était pas due à une erreur du salarié. De plus, il faisait valoir que l’absence d’entretien annuel de suivi, entraînant l’inopposabilité de la convention de forfait en jours, ne pouvait pas être sanctionnée par la nullité de ladite convention.

La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur et approuve la cour d’appel d’avoir, au vu des manquements constatés, prononcé la nullité de la convention de forfait. Après avoir rappelé les termes de l’article L 3121-65, I du Code du travail, elle pose le principe selon lequel, en cas de manquement à l’une des obligations prévues par ce texte, l’employeur ne peut pas se prévaloir du régime dérogatoire qu’il institue. La convention individuelle de forfait en jours doit donc être considérée comme nulle. En l’espèce, l’employeur avait manqué à deux de ces obligations :

  • les tableaux de suivi ne reflétaient pas la réalité des jours travaillés par le salarié, peu important qu’ils aient pu être renseignés par lui dès lors qu’ils doivent être établis sous la responsabilité de l’employeur : dans ces conditions, il apparaissait impossible à l’employeur de s’assurer que la charge de travail était compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire ;
  • l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation d’organiser avec le salarié un entretien annuel pour évoquer sa charge de travail.

Il faut noter que c’est la première fois à notre connaissance que la Cour de cassation se prononce sur la sanction à appliquer lorsque l’employeur manque aux obligations supplétives prévues par l’article L 3121-65, I du Code du travail.

La solution est, selon nous, logique. En effet, si l’employeur ne respecte pas les obligations découlant des mesures supplétives prévues par l’article L 3121-65 du Code du travail, la validité même de la convention individuelle de forfait est compromise, d’autant plus qu’elle ne repose sur aucun support conventionnel valable.

Manquements de l’employeur à son obligation de suivi : une justification impossible ?

Dans la seconde affaire (n° 22-13.200), un salarié engagé le 1er septembre 2016 en qualité de directeur d’hôtel était soumis à une convention de forfait en jours, prévue par la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants (HCR).

Reprochant à l’employeur un défaut de suivi régulier de sa charge de travail, en l’absence d’organisation d’un entretien annuel, des dépassements des durées maximales de travail et du nombre de jours travaillés prévus dans la convention de forfait, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes.

Il faut noter que dans un arrêt du 7 juillet 2015 (Cass. soc. 7 juillet 2015 n° 13-26.444), la chambre sociale avait jugé que les dispositions de l’article 13.2 de l’avenant 1 du 13 juillet 2004 à la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants du 30 avril 1997 n’étaient pas de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis à une convention de forfait annuel en jours. Les conventions individuelles de forfait en jours conclues sur le fondement de ce texte devaient être en conséquence annulées.

La branche a par la suite conclu les deux avenants cités dans la présente affaire, à savoir les avenants n° 22 du 16 décembre 2014 et n° 22 bis du 7 octobre 2016. Ce dernier avenant a pour objet de prendre en compte les réserves émises à la suite de l’arrêté d’extension de l’avenant de 2014 selon lesquelles l’article 2.4, relatif « au suivi du temps de travail », devait préciser les modalités concrètes de suivi de la charge de travail, dans le respect des exigences jurisprudentielles relatives à la protection de la santé et de la sécurité des salariés, ainsi que des exigences issues de la loi Travail.

À notre connaissance, la question de la validité des dispositions issues de ce dernier avenant n’a jamais été soumise à la Cour de cassation. En l’espèce, une telle demande n’était pas formulée par le salarié. En effet, ce dernier avait d’abord demandé la nullité de sa convention de forfait en première instance et en appel, puis à ce qu’elle soit privée d’effet devant la Cour de cassation. Par conséquent, le débat ne pouvait porter que sur la question de savoir si les mesures prévues par les dispositions conventionnelles étaient ou non mises en œuvre par l’employeur, écartant ainsi toute possibilité de voir la convention de forfait annulée.

La cour d’appel l’ayant débouté de sa demande, le salarié s’était pourvu en cassation.
Avec raison pour la chambre sociale de la Cour de cassation, qui censure l’arrêt d’appel.

Des contraintes internes à l’entreprise ne peuvent justifier des manquements à l’obligation de suivi…

La Cour d’appel, après avoir constaté qu’aucun entretien n’avait eu lieu pour l’année 2018, avait cependant estimé le grief du salarié non fondé, au motif que l’employeur justifiait de contraintes internes de fonctionnement. L’employeur faisait en effet valoir que, en raison de la démission de son directeur général, le 31 décembre 2018, et de la prise de fonction, le 21 janvier 2019, du nouveau directeur des opérations, les directeurs des différents hôtels avaient été convoqués en mars 2019 à l’entretien individuel de suivi du forfait cadre au titre de l’année 2018. Les juges avaient estimé que le report de la date d’entretien du salarié au 6 mars 2019 était admissible et légitime.

Après avoir rappelé les termes des articles L 3121-60, L 3121-64, II et des avenants 22 et 22 bis à la convention collective nationale des HCR, la chambre sociale considère que les motifs retenus par la cour d’appel pour juger que l’employeur avait satisfait à son obligation de suivi, tenant à des contraintes internes à l’entreprise, étaient inopérants, alors qu’elle avait constaté que, lors de l’entretien réalisé en 2017, le salarié avait signalé l’impact sérieux de sa charge de travail et le non-respect ponctuel du repos hebdomadaire, que le repos hebdomadaire n’avait pas été respecté à plusieurs reprises en 2018 et que les convocations pour l’entretien pour 2018 n’avaient été adressées qu’en mars 2019. En se prononçant ainsi, les juges du fond avaient donc violé les dispositions précitées.

Selon nous, la chambre sociale insiste à nouveau sur la nécessité pour l’employeur d’assurer un suivi régulier de la charge de travail du salarié, énoncée par l’article L 3121-60, d’ordre public Il en résulte que les contingences propres à l’entreprise ne peuvent pas permettre à l’employeur de se soustraire à ses obligations légales et conventionnelles en la matière. Toutefois, certaines questions subsistent. Pour « neutraliser » l’argument de l’employeur lié à ses contraintes internes, la Cour de cassation a relevé plusieurs éléments : le retard de plusieurs mois dans l’organisation de l’entretien pour 2018, ainsi que d’autres faits constatés par la cour d’appel suggérant un manque de suivi de la part de l’employeur, tels que le signalement effectué par le salarié en 2017 qui semble être resté sans suite, et le non-respect à plusieurs reprises du repos hebdomadaire. Est-ce à dire que, si le retard avait été moindre, ou en l’absence de ces autres éléments, l’argument des contraintes internes aurait pu être retenu ? Et qu’en aurait-il été si les contraintes avaient été plus impérieuses ?

… Non plus que la réparation ultérieure de ces manquements par l’employeur

Le salarié reprochait aussi à l’employeur le non-respect du repos hebdomadaire ainsi qu’un dépassement des durées maximales de travail et du nombre de jours travaillés prévus dans la convention.

La Cour d’appel avait également rejeté ces griefs en constatant que les jours de travail supplémentaires avaient été récupérés ou rémunérés. De plus, elle a retenu que l’employeur avait informé le salarié sur le forfait en jours et l’avait alerté sur la situation.

Là encore, la Cour de cassation considère que la Cour d’appel avait statué par des motifs inopérants, alors qu’elle avait constaté :

  • d’une part, que le repos hebdomadaire n’avait pas été respecté à plusieurs reprises en 2016, 2017 et 2018,
  • d’autre part, que le forfait annuel avait été dépassé de 25 jours en 2016, 26 jours en 2017 et 30 jours en 2018, ce dont il résultait que l’employeur qui s’était abstenu de mettre en place des mesures de nature à remédier en temps utile à la charge de travail incompatible avec une durée raisonnable de travail, charge dont il avait été informé, avait manqué à ses obligations légales, telles qu’énoncées aux articles L 3121-60, L 3121-64 et L 4121-1 du Code du travail.

Selon nous, pour la chambre sociale, les violations répétées du repos hebdomadaire et le dépassement systématique du nombre de jours de travail prévus au forfait démontraient en elles-mêmes le manquement de l’employeur à son obligation de suivi de la charge de travail.

Le fait même que les jours avaient été « après coup » récupérés ou rémunérés montrait que l’employeur n’avait pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en violation de son obligation de sécurité prévue par l’article L 4121-1 du Code du travail, et que, contrairement à ce qu’exige la jurisprudence de la Cour de cassation, il n’avait pas remédié en temps utile à la charge de travail du salarié, qui était incompatible avec une durée raisonnable de travail.

La décision

En cas de manquement à l’une des obligations prévues par l’article L 3121-65 du Code du travail, l’employeur ne peut pas se prévaloir du régime dérogatoire ouvert par cet article. Il en résulte que la convention individuelle de forfait en jours conclue, alors que l’accord collectif ouvrant le recours au forfait en jours ne répond pas aux exigences de l’article L 3121-64, II-1° et 2° du même Code, est nulle.
En déduit exactement qu’une convention individuelle de forfait est nulle la cour d’appel ayant retenu à bon droit que l’accord collectif du 5 septembre 2003, qui permettait le recours au forfait en jours, n’était pas conforme aux dispositions de l’article L 3121-64 du Code du travail et ayant constaté que :

–  les tableaux de suivi ne reflétaient pas la réalité des jours travaillés par le salarié, peu important qu’ils aient pu être renseignés par l’intéressé dès lors que ceux-ci doivent être établis sous la responsabilité de l’employeur, si bien que, dans ces conditions, il apparaissait impossible à l’employeur de s’assurer que la charge de travail était compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire

–  l’employeur n’a pas satisfait à son obligation d’organiser avec le salarié un entretien annuel pour évoquer sa charge de travail (1e espèce)

Viole les articles L 3121-60, L 3121-64, II du Code du travail, 2.4 de l’avenant n° 22 du 16 décembre 2014 à la convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants (HCR) du 30 avril 1997 et 2.4 de l’avenant n° 22 bis du 7 octobre 2016 relatifs aux cadres autonomes la cour d’appel qui déboute le salarié de ses demandes au titre de la convention individuelle de forfait en jours par des motifs inopérants tirés de contraintes internes à l’entreprise, alors qu’elle a constaté que, lors de l’entretien réalisé en 2017, le salarié a signalé l’impact sérieux de sa charge de travail et le non-respect ponctuel du repos hebdomadaire, que le repos hebdomadaire n’a pas été respecté à plusieurs reprises en 2018 et que les convocations pour l’entretien pour 2018 n’ont été adressées qu’en mars 2019 (2e espèce).
Viole les articles L 3121-60, L 3121-64 et L 4121-1 du Code du travail la cour d’appel qui déboute le salarié de ses demandes au titre du forfait en jours, par des motifs inopérants tirés de la récupération ou du paiement des jours de dépassement du forfait et des alertes mentionnées sur les tableaux tenus par l’employeur, alors qu’elle avait constaté, d’une part, que le repos hebdomadaire n’avait pas été respecté à plusieurs reprises en 2016, 2017 et 2018, d’autre part, que le forfait annuel avait été dépassé de 25 jours en 2016, 26 jours en 2017 et 30 jours en 2018, ce dont il résultait que l’employeur, qui s’était abstenu de mettre en place des mesures de nature à remédier en temps utile à la charge de travail incompatible avec une durée raisonnable de travail dont il avait été informé, avait manqué à ses obligations légales et conventionnelles (2e espèce).

 

Poursuivez votre lecture sur le suivi de la charge de travail

Convention de forfait jours et modalités de suivi de la charge de travail : les carences de la CCN des commerces de détails non alimentaires

Forfait-jours : le non-respect des dispositions supplétives sanctionné par la nullité

Les forfaits jours fondés sur l’accord Syntec non modifié par accord d’entreprise sont nuls

Le non-respect des conditions de dérogation au repos dominical sanctionné

L’employeur qui méconnaîtrait ses obligations dans le cadre de la dérogation spéciale au repos dominical accordée par le préfet, notamment pendant la période des Jeux olympiques, encourt une peine d’amende.

L’article 25 de la loi du 19 mai 2023 relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 a créé une dérogation temporaire au repos dominical accordée par le préfet aux établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens ou des services et qui sont situés dans les communes d’implantation des sites de compétition des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 ainsi que dans les communes limitrophes ou situées à proximité de ces sites. La dérogation s’applique du 15 juin au 30 septembre 2024 (FRS 10/23 inf. 12 p. 25).

Le salarié doit exprimer son consentement volontaire par écrit à son employeur pour travailler le dimanche. Il a le droit de se rétracter à tout moment, à condition d’avoir informé préalablement son employeur par écrit, en respectant un délai de 10 jour franc. De plus, il doit bénéficier de contreparties : une rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente et un repos compensateur équivalent en temps. L’employeur doit également prendre toute mesure nécessaire pour permettre aux salariés d’exercer personnellement leur droit de vote aux scrutins nationaux et locaux lorsque ceux-ci ont lieu le dimanche (C. trav. art. L 3132-25-4, al. 1 et 6 et L 3132-27, al. 1).

 

Ce qui dit l’article L 3132-25-4 à propos du repos dominical

Il faut noter qu’en application de l’article L 3132-25-4, alinéa 1er du Code du travail, cité par l’article 25 de la loi, une entreprise ne peut pas prendre en considération le refus d’une personne de travailler les dimanches entre le 15 juin et le 15 septembre 2024 pour refuser de l’embaucher. Le salarié qui refuse de travailler les dimanches ne peut pas être discriminé dans l’exécution de son contrat de travail. Ce refus ne constitue ni une faute, ni un motif de licenciement.

Un décret du 14 avril 2024 instaure une infraction contraventionnelle en cas d’inobservation par l’employeur de ses obligations en termes de volontariat des salariés, de respect du droit de vote et d’octroi des contreparties.

Ainsi, le fait de méconnaître ces dispositions est puni des peines prévues à l’article R 3135-2 du Code du travail, soit de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe. Les contraventions donnent lieu à autant d’amendes qu’il y a de salariés illégalement employés. La récidive est réprimée conformément aux articles 132-11 et 132-15 du Code pénal.

En pratique, l’amende de 5e classe s’élève, pour les personnes physiques, à un montant de 1 500 € au plus, qui peut être porté à 3 000 € en cas de récidive (C. pén. art. 131-13 et 132-11) et, pour les personnes morales, à un montant de 7 500 €, porté à 30 000 € en cas de récidive (C. pén. art. 131-38 et 132-15).

Ces dispositions sont entrées en vigueur le 14 avril 2024. N’hésitez pas à contacter notre cabinet spécialisé en droit du travail pour vous assurer de la mise en oeuvre des ces dispositions.

 

Poursuivez votre lecture sur les dispositions qui encadrent les repos et congés

 

Forfait-jours : le non-respect des dispositions supplétives sanctionné par la nullité

Si l’accord collectif permettant le recours au forfait en jours, n’est pas conforme aux dispositions de l’article L. 3121-64 du code du travail précisant le champ de la négociation collective, les dispositions de l’article L. 3121-65 du même code relatives au non-respect des dispositions supplétives doivent être respectées.

La sanction pour non-respect des dispositions supplétives est sans équivoque : la convention est nulle

(Soc., 10 janvier 2024, n°22-15.782)

La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a procédé à la sécurisation juridique des conventions individuelles de forfait. L’insuffisance de l’accord collectif peut désormais être comblée par une décision unilatérale de l’employeur. Ce dernier peut valablement conclure, s’il remplit certaines conditions, une convention de forfait en jours même en présence d’un accord collectif incomplet. Rappelons toutefois, que même incomplet, un accord collectif autorisant le recours au forfait jours est toujours nécessaire.

Aux termes de l’article L. 3121-65 du code du travail, en l’absence de stipulations conventionnelles relatives au suivi des salariés soumis à une convention de forfait en jours, l’employeur peut toujours valablement conclure une convention de forfait, si :

– il établit un document de contrôle mentionnant la date et le nombre de journées ou demi-journées travaillées. Ce document peut être établi par le salarié sous sa responsabilité ;

– il s’assure de la compatibilité de la charge de travail du salarié avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire ;

– il organise un entretien annuel avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

En l’espèce, la convention de forfait litigieuse reposait sur un accord collectif permettant de recourir au forfait-jours mais incomplet en ce qu’il ne prévoyait aucune modalité de communication régulière entre l’employeur et le salarié relativement à la charge de travail de ce dernier.

L’employeur avait unilatéralement mis en place un document de contrôle « faisant apparaître le nombre et la date des journées et demi-journées travaillées lorsque le salarié a validé les documents de suivi mensuel ». Mais le salarié indiquait être dans l’impossibilité de procéder à des modifications de ce document transmis par le service des ressources humaines. Enfin, l’employeur soutenait que l’absence de preuve de la tenue d’un entretien annuel de suivi n’est pas de nature à annuler la convention de forfait en jours. C’est en l’état que l’affaire se présente.

La question posée aux juges de la Cour de cassation était de savoir si les erreurs contenues dans le document de contrôle devaient être justifiées par le salarié ou s’il incombait à l’employeur de démontrer que ce document était en mesure de garantir une charge de travail concordante avec l’exigence de respect des temps de repos.

La réponse ferme des juges est de considérer que lorsqu’il y a des erreurs dans ce document, elles ne sont aucunement imputables au salarié puisque le document de contrôle doit être établi, en tout état de cause, sous la responsabilité de l’employeur.

Ce dernier doit alors vérifier, d’une part, que les informations sont conformes à la réalité des jours travaillés par le salarié et, d’autre part, qu’au regard de ces données, la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos.

Cette décision montre une fois de plus l’importance de l’exigence fondamentale de protection de la santé des salariés. L’employeur ne peut pas se permettre de traiter de manière artificielle la question du suivi de la charge de travail en vertu des normes internes et supranationales encadrant la santé des salariés. Le document de contrôle prend donc toute sa coloration par le droit de la santé au travail.

La présente décision est donc importante puisque la Cour de cassation rappelle avec force que l’établissement d’un document de contrôle tient de la responsabilité exclusive de l’employeur et que la véracité de son contenu doit être assurée par ce dernier ; l’employeur ne pouvant pas s’extraire de cette exigence au motif que le salarié aurait indiqué des données erronées. Cette obligation de contrôle peut donc être considérée comme découlant directement de l’obligation de sécurité de l’employeur. Cet arrêt rappelle également l’impératif pour l’employeur de réaliser, a minima, un entretien annuel relatif au suivi de la charge de travail et d’apporter la preuve de sa tenue.

Dans le cas présent, la Cour de cassation prononce la nullité de la convention de forfait au visa du régime dérogatoire de l’article L. 3121-65 du code du travail. Elle précise à ce titre que le non-respect des dispositions supplétives rend nulle cette convention. La Cour affine donc sa jurisprudence en précisant avec force qu’il ne suffit pas de prévoir des mesures de contrôle de la charge de travail, il faut également s’assurer du respect des trois mesures cumulatives prévues.

Le non-respect des dispositions supplétives ou de tout autre règle juridique peuvent rendre nulles les clauses d’un contrat de travail. Notre cabinet conseille et accompagne ses clients d’Antibes à Aix-en-Provence ; contactez-nous si souhaitez être épaulé dans la rédaction de vos contrats.

 

Poursuivez votre lecture sur le suivi du temps de travail

Suivi et régulation de la charge de travail du salarié au forfait en jours

Sécurisation des forfaits-jours : inopposabilité d’un avenant de révision antérieur à l’entrée en vigueur de la loi Travail le 7 novembre 2019

Pas de forfait jours pour le salarié soumis à un planning imposant sa présence dans l’entreprise

 

 

Le nécessaire suivi régulier à effet utile pour la validité des conventions de forfait-jours

Trois décisions du 5 juillet 2023 illustrent l’appréciation de la validité des conventions de forfait au regard du « suivi effectif et régulier » permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable » (soc., n°21-23.387 ; n°21-23.294 ; n°21-23.222).

La validité des conventions de forfait en jours au regard des exigences désormais bien connues du droit à la santé et au repos du salarié fait l’objet d’une abondante jurisprudence.

La Cour cassation cherche à assurer la protection du droit à la santé et au repos du salarié, visant tout à la fois l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne, les textes du code du travail résultant de la transposition des directives 1993/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 et 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil 4 novembre 2003, ainsi que la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La Cour de cassation a déduit de ces normes constitutionnelles et conventionnelles que le non-respect des dispositions conventionnelles visant à protéger la santé du salarié privent d’effet les conventions de forfait en jours, avec pour conséquence, un retour à la durée légale ou conventionnelle de travail, et donc, potentiellement, un rappel d’heures supplémentaires sur les trois dernières années (Soc. 29 juin 2011, n° 09-71.107).

La Cour de cassation laisse à l’appréciation des juges du fond le soin de vérifier la conformité de l’accord collectif aux objectifs de protection de la santé et de la sécurité des salariés.

Les arrêts commentés s’inscrivent dans ce contexte.

Dans la première espèce (n° 21-23.387 B), l’article 2.8.3 de la convention collective des prestataires de services dans le secteur tertiaire prévoit, en substance, un unique entretien annuel portant sur l’organisation du travail, l’amplitude horaire et la charge de travail. De plus, l’accord énonce que l’employeur est tenu de mettre en place des modalités de contrôle du nombre de journées travaillées et non travaillées. L’accord est jugé insuffisant au regard des exigences constitutionnelles du droit à la santé et au repos et les conventions de forfait est annulée car les garanties ne permettent pas un suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable.

Dans la deuxième espèce (n° 21-23.222 B), les articles 1.09 et 4.06 de la convention collective de la réparation automobile prévoyaient, en substance, la possibilité d’un entretien annuel avec l’obligation pour la hiérarchie de mettre en place des correctifs, à la suite de l’entretien annuel, pour respecter une charge de travail raisonnable ainsi qu’un système auto-déclaratif pour que les salariés puissent déclarer les jours travaillés et non travaillés. De la même manière et pour les mêmes raison, l’accord est jugé insuffisant et les conventions de forfait sont annulées, faute pour le support conventionnel de prévoir des garanties suffisantes pour sauvegarder le droit à la santé et au repos du salarié.

Dans la troisième espèce (n° 21-23.294 B), la chambre sociale donne toutefois un exemple de dispositions conventionnelles jugées acceptables. Était en cause la convention collective des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment qui prévoit un suivi régulier de la hiérarchie via un document individuel de suivi et des points réguliers lors de l’exécution de la convention. Les garanties sont jugées suffisantes car elles permettent à l’employeur de réagir en temps utile à la surcharge de travail du salarié.

Ainsi est-il nécessaire pour les employeurs de trouver le fil conducteur du contrôle imposé par la Cour de cassation et exercé par les juges du fond pour ne pas voir les conventions de forfait en jours conclues avec les salariés privés d’effet en cas d’inapplication des garanties conventionnelles, voire annulées en cas d’insuffisances de celles-ci.

L’enjeu est de taille : le risque financier peut être très élevé pour les entreprises. Le rappel d’heures supplémentaires sur trois années, outre les éventuelles condamnations pour travail dissimulé et non-respect du droit au repos, est un risque que l’employeur doit conserver à l’esprit.

Il est par ailleurs à rappeler que l’employeur est débiteur d’une obligation de sécurité (C. trav., art. L. 4121-1) à l’endroit du salarié, ce d’autant que le non-respect de la législation sur la durée du travail cause désormais nécessairement préjudice au salarié, qu’il s’agisse du non-respect de sa durée hebdomadaire de travail ou du non-respect de sa durée quotidienne maximale.

Les accords de branche et d’entreprise ont donc un rôle déterminant dans la conception d’un dispositif permettant le suivi effectif et régulier de la santé du travailleur.

Les juges du fond sont invités à vérifier que l’accord collectif est de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié. De nombreuses conventions de branche ont été invalidées par la chambre sociale : la convention collective nationale de l’industrie chimique (Soc. 31 janv. 2012, n° 10-19.807), de commerces de gros (Soc. 26 sept. 2012, n° 11-14.540, des bureaux d’études (Soc. 24 avril 2013, n° 11-28.398 P, des experts-comptables (Soc. 14 mai 2014, n° 12-35.033 P) ou encore du personnel salarié des cabinets d’avocats (Soc. 8 nov. 2017, n° 15-22.758 P).

La chambre sociale impose désormais, de façon constante, que le suivi de la charge de travail des salariés soit effectif et réalisé au fil de l’eau (Soc. 14 mai 2014, n° 12-35.033 ; 5 oct. 2017, n° 16-23.106 P; 6 nov. 2019, n° 18-19.752 P). Cette exigence de suivi régulier est reprise dans le code du travail depuis la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, au sein des dispositions qui sont d’ordre public (C. trav., art. L. 3121-60).

La nécessité pour l’employeur d’instaurer un suivi régulier lui permet de réagir « en temps utile ».

Le contrôle des dispositions conventionnelles, imposé par la Cour de cassation et opéré par les juges du fond, s’articule en deux temps : le contrôle du temps de travail effectivement réalisé par le salarié et l’existence d’un mécanisme correcteur en cas de surcharge de travail.

Ainsi, en premier lieu, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que les juges contrôlent l’existence d’un mécanisme permettant de relever en temps réel le travail effectivement réalisé par le salarié ainsi que ses temps de repos. Cela passe régulièrement par un système auto-déclaratif des jours travaillés et des jours de repos, sous la responsabilité de l’employeur, qui doit être contrôlé régulièrement par la hiérarchie (Soc. 19 juin 2019, n° 18-11.391).

Ensuite, l’employeur doit mettre en place un système permettant des correctifs rapides pour pallier la surcharge de travail et pour sauvegarder la santé du salarié au regard des « états récapitulatifs de temps travaillé transmis » (Soc. 19 juin 2019, n° 18-11.391). C’est généralement sur ce point que les dispositions conventionnelles sont jugées insuffisantes. En effet, dans les arrêts commentés, les dispositions conventionnelles jugées insuffisantes sont celles qui ne prévoyaient qu’un échange annuel obligatoire entre l’employeur et le salarié.

La pratique de l’unique entretien annuel prévu par accord collectif pourrait exposer désormais quasi-systématiquement les conventions de forfait à la nullité.

Le critère déterminant réside donc dans la proactivité de l’employeur à réagir en temps utile – quasi-immédiatement – pour permettre de diminuer la charge de travail et prévenir les violations au droit à la santé et au repos du travailleur.

L’employeur doit être en mesure de contrôler, de suivre et de corriger en temps utile la charge, l’organisation et l’amplitude du travail du salarié.

 

Notre cabinet d’avocats défend et conseille ses clients de Grasse à Aix-En-Provence. Contactez-nous pour toute affaire relevant de notre spécialité, le droit du travail.

 

Poursuivez votre lecture sur les dispositions relatives au suivi du temps de travail

Le contrôle du temps de travail des salariés avec la géolocalisation

Si l’employeur ne prouve pas la durée de travail convenue, le temps partiel est réputé à temps plein

C’est à l’employeur de prouver qu’il respecte les durées maximales de travail et temps de pause

 

Suivi et régulation de la charge de travail du salarié au forfait en jours

Manque à son obligation d’assurer le suivi régulier de la charge de travail et à son obligation de sécurité l’employeur qui, d’une part, n’assure pas l’organisation de l’entretien annuel prévu par la convention collective pour un salarié au forfait en jours, et, d’autre part, ne prend pas des mesures de nature à protéger sa santé alors que des alertes et le document de suivi des jours travaillés, prévu par la même convention collective, laissaient apparaître une situation chronique de surcharge de travail. La convention de forfait doit être privée d’effet pour toute la période couverte par ces manquements (Soc. 10 janvier 2024, n°22-13.200).

À partir de 2011, palliant les carences d’une législation laconique, la Cour de cassation a développé une jurisprudence visant à conditionner le recours aux conventions de forfait en jours à l’existence de dispositions conventionnelles offrant certaines garanties aux salariés. Celles-ci devaient notamment permettre le suivi de leur charge de travail pour qu’elle reste raisonnable. S’appuyant sur cette exigence, le juge considérait qu’un forfait en jours était nul lorsque le dispositif conventionnel ne comportait pas de garanties suffisamment protectrices (Soc. 24 avr. 2013, n° 11-28.398) ou privé d’effet lorsque les stipulations conventionnelles étaient satisfaisantes mais non appliquées par l’employeur (Soc. 29 juin 2011, n° 09-71.107 ; 19 déc. 2018, n° 17-18.725). Deux décisions rendues par la chambre sociale de la Cour de cassation le 10 janvier 2024 (outre l’arrêt commenté, v. Soc. 10 janv. 2024, n° 22-15.782) apportent une attention particulière au comportement adopté par l’employeur pour assurer le suivi et la régulation de la charge de travail, dans le prolongement de la réforme du forfait en jours par la loi « Travail » n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Prenant acte de cette jurisprudence, le législateur avait en effet modifié le régime juridique du forfait en jours, afin d’offrir au salarié des garanties légales jusqu’alors inexistantes. Depuis août 2016, une disposition d’ordre public enjoint notamment à l’employeur de s’assurer « régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail » (C. trav., art. L. 3121-60).

Un accord collectif, obligatoire pour recourir à ce type de forfait (C. trav., art. L 3121-63) doit prescrire les actions à mettre en œuvre pour respecter cette obligation. Il doit notamment déterminer « les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié » ainsi que « les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise » (C. trav., art. L. 3121-64). Des dispositions supplétives permettent enfin à l’employeur de mettre en œuvre le forfait malgré les carences conventionnelles sur les points précédents, à condition d’organiser un entretien annuel sur la charge de travail, de s’assurer que celle-ci est compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire et d’établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées et demi-journées travaillées (C. trav., art. L. 3121-65).

Il ressort de l’arrêt commenté, rendu au visa de ces nouvelles dispositions légales et respectant l’esprit et la lettre de celles-ci, que le juge entend désormais scruter avec rigueur le comportement adopté par l’employeur pour assurer le suivi et la régulation de la charge de travail.

En l’espèce, un directeur d’hôtel avait conclu en 2016 un contrat de travail avec un salarié au forfait en jours. Après avoir démissionné début 2019, il saisit le conseil de prud’hommes de diverses demandes relatives à l’exécution et la rupture du contrat. En raison de divers manquements reprochés à l’employeur, il demandait notamment aux juges de priver d’effet la convention de forfait pour la période couverte par celle-ci. Soumis à la convention collective des hôtels, cafés et restaurants, le salarié devait bénéficier, au titre du suivi et de la régulation de la charge de travail, de différentes garanties :

  • un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique au cours duquel sont évoquées sa charge de travail, l’amplitude de ses journées d’activité, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale ainsi que sa rémunération ;
  • un document de suivi tenu par l’employeur faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées, le positionnement et la qualification des jours de repos (repos hebdomadaire, congés payés, jours fériés), permettant au supérieur hiérarchique d’assurer un suivi de l’organisation du travail du salarié, afin de veiller à ce que l’amplitude et la charge de travail soient raisonnables.

Le salarié au forfait en jours invoquait précisément l’absence de mise en œuvre de ces garanties, de nature à le protéger contre les risques liés à une charge de travail excessive : d’une part, l’entretien annuel de l’année 2018 n’avait pas été organisé pour être finalement programmé au mois de mars 2019 ; d’autre part, malgré un dépassement chronique de la durée du travail prévue par le forfait, aucune mesure n’avait été prise pour permettre le respect des règles relatives au repos quotidien et hebdomadaire.

Le salarié fut débouté de l’ensemble de ses demandes par la Cour d’appel de Limoges, le 12 janvier 2022. Selon les juges du fond, l’absence d’entretien en 2018 était imputable à des difficultés particulières liées à l’organisation du travail : la démission du directeur général le 31 décembre 2018 et son remplacement le 21 janvier 2019 justifiaient le retard pris dans l’organisation des entretiens, qui avaient finalement eu lieu en mars 2019. Par ailleurs, si la cour d’appel avait bien relevé que le salarié avait constamment travaillé plus que la durée prévue par son forfait et avait alerté son supérieur hiérarchique des difficultés liées à sa charge de travail, elle considéra que l’employeur avait réagi en réduisant, pour l’année suivante, le nombre de jours inclus dans le forfait et en payant les dépassements constatés. Le salarié a formé un pourvoi en cassation contre cette décision.

Le 10 janvier 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision rendue par les juges limougeauds, au visa des articles L. 3121-60, L. 3121-64 et L. 4121-1 du code du travail, relatif à l’obligation patronale de sécurité, ainsi que des dispositions conventionnelles en vigueur. Ce faisant, elle précise l’étendue des obligations incombant à l’employeur en matière de charge de travail et rappelle la nécessité de rendre effectives les garanties conventionnelles afin d’assurer la protection de la santé des salariés dont la durée du travail est forfaitisée.

Entretien annuel du salarié au forfait en jours

Analysant dans un premier temps le grief tiré de l’absence d’entretien annuel, les juges du quai de l’Horloge font une application logique d’une jurisprudence constante : la non-application par l’employeur des dispositions conventionnelles destinées à assurer le suivi et la régulation de la charge de travail justifie la privation d’effet de la convention de forfait en jours pendant toute la durée où le manquement a été constaté. L’arrêt commenté montre une certaine rigueur dans l’application de cette jurisprudence puisqu’en l’espèce, l’entretien annuel litigieux avait bien été organisé, mais en mars de l’année N+1. Pour justifier ce retard, l’employeur invoquait des difficultés d’organisation résultant de de la démission du directeur général, lesquelles avaient convaincu les juges du fond. Pour la Cour de cassation, cependant, ce motif était inopérant pour écarter la responsabilité de l’employeur : dans les faits, le salarié n’avait pas bénéficié de son droit à un entretien « annuel » en application de la convention collective, alors même qu’il avait signalé, lors de l’entretien réalisé en 2017, « l’impact sérieux de sa charge de travail et le non-respect ponctuel du repos hebdomadaire » et que des manquements au repos hebdomadaire avaient encore été constatés en 2018.

Au regard de cette situation et, plus généralement, de la fonction de cet entretien destiné à vérifier que la non-application du droit commun de la durée du travail ne se traduit pas pour le salarié par une charge de travail excessive, son organisation était particulièrement importante et ne devait pas être envisagée comme une simple formalité. Les dispositions d’ordre public de l’article L. 3121-60 du code du travail, figurant au visa de l’arrêt commenté, font en outre reposer sur l’employeur l’obligation de suivi de la charge de travail. Il appartient donc à l’employeur de garantir l’organisation, dans les temps, de cet entretien, quelles que soient les difficultés liées au roulement du personnel. Le salarié au forfait en jours pouvait, par conséquent, légitimement se fonder sur cette irrégularité pour demander la privation d’effet de sa convention de forfait.

Réaction en cas de surcharge de travail

Le salarié invoquait en outre à l’appui de sa demande l’absence de réaction de l’employeur aux alertes sur la durée de son travail et sa charge de travail. En effet, le salarié avait, chaque année, travaillé plus que le nombre de jours de travail prévus par le forfait et avait régulièrement été privé de son droit au repos hebdomadaire en travaillant plus de six jours par semaine. Ces dépassements n’étaient d’ailleurs pas contestés ; ils apparaissaient sur le document de suivi des jours travaillés et le salarié avait à plusieurs reprises alerté le service des ressources humaines de sa fatigue et de surcharge de travail. La réponse de l’employeur s’était pourtant révélée plutôt inconsistante. Il avait dans un premier temps privilégié des mesures de récupération des jours travaillés au-delà du forfait : le salarié avait bénéficié de jours de repos compensateur pour les repos hebdomadaires non pris, tandis qu’un forfait de 166 jours avait été imposé pour l’année 2018, pour compenser les 51 jours de dépassement lors des deux années précédentes. Le salarié avait cependant encore dépassé le forfait de 30 jours en 2018 et l’employeur s’était finalement résigné à payer ces jours supplémentaires. Pour débouter le salarié, la cour d’appel déduisit malgré tout de ces mesures que l’employeur « portait un regard attentif sur le nombre de jours travaillés ».

La décision des juges du fond est également censurée sur ce point. La jurisprudence sur le forfait en jours était initialement fondée sur la nécessité d’octroyer des garanties permettant d’assurer l’effectivité du droit à la santé et au repos à des salariés exclus du droit commun de la durée du travail. Dans ce cadre, le document de suivi des journées s’est rapidement imposé comme un outil pertinent (Soc. 7 déc. 2014, n° 13-22.890; 22 juin 2017, n° 16-11.762), intégré aux dispositions légales supplétives lors de la réforme de 2016, à la condition toutefois qu’il soit effectivement utilisé par l’employeur à des fins de contrôle et de régulation de la charge de travail des salariés concernés (Soc. 6 nov. 2019, n° 18-19.752). En effet, ce document ne constitue pas une fin en soi ; il s’agit avant tout d’un simple outil destiné à identifier les situations problématiques et permettre à l’employeur de « remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable » de travail (Soc. 17 janv. 2018, n° 16-15.124). Or, l’employeur peut difficilement prétendre avoir réagi « en temps utile » s’il s’est contenté d’organiser la récupération des jours supplémentaires un à deux ans après le constat des dépassements, a fortiori lorsque le salarié n’a pas pu, dans les faits, bénéficier de cette récupération. La cassation sur le fondement des dispositions de l’article L. 3121-60 est par conséquent légitime : l’employeur ne s’assure pas « régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable » si les multiples alertes relatives à une durée du travail excessive n’entraînent aucune réaction rapide ni aucune réflexion globale sur l’organisation de son travail, sur les objectifs fixés et les moyens à sa disposition pour les atteindre.

Salarié au forfait en jours : recours aux dispositions de l’article L. 4121-1 du code du travail

L’intérêt de l’arrêt commenté réside en outre dans le recours aux dispositions de l’article L. 4121-1 du code du travail. Conformément à une jurisprudence désormais constante (Soc. 25 nov. 2015, n° 14-24.444), « l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ». La référence à ces dispositions légales n’est pas inédite dans le contentieux relatif au forfait en jours (Soc. 2 mars 2022, n° 20-16.683). Elle est tout à fait pertinente dès lors que les garanties conventionnelles de suivi et de régulation de la charge de travail – telles que le document de contrôle – doivent être de nature à « assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié » (Soc. 26 sept. 2012, n° 11-14.540). Il en résulte que l’employeur négligent dans la mise en œuvre de ces garanties expose les salariés soumis à une convention de forfait en jours aux risques pour la santé résultant d’une charge de travail excessive sans mesure préventive adaptée. Invoquer l’obligation patronale de sécurité permet en outre de faire peser sur l’employeur la charge de la preuve des mesures de prévention mises en œuvre une fois le risque identifié. Sur ce point, l’arrêt commenté donne un support légal à une jurisprudence établie : la Cour de cassation considérait déjà qu’il appartenait à l’employeur de prouver la mise en œuvre des garanties conventionnelles (Soc. 19 déc. 2018, n° 17-18.725).

Si le document de contrôle et les alertes du salarié font apparaître un risque de surcharge de travail auquel était exposé le salarié au forfait en jours, l’employeur doit être mesure de justifier les mesures prises pour faire cesser cette situation et éviter sa réitération. L’application de cette obligation demeure cependant assez souple pour l’employeur qui peut échapper à la condamnation en justifiant d’actions rapides pour faire cesser une situation de surcharge – ce qui n’était manifestement pas le cas en l’espèce. Une application rigoureuse des différents principes généraux de prévention imposerait pourtant, en principe, de tout mettre en œuvre pour éviter une telle situation. Les exigences de prévention des risques à la source ou d’adaptation du travail à l’homme (C. trav., art. L. 4121-2) prescrivent davantage une réflexion globale sur les objectifs, l’organisation, les conditions de travail, la recherche d’un équilibre entre les contraintes de travail du salarié au forfait en jours et les ressources à sa disposition pour le réaliser, afin de s’assurer qu’il pourra réaliser correctement son travail, dans des conditions respectueuses de sa santé et de sa sécurité, malgré l’inapplication du droit commun de la durée du travail.

En définitive, s’il est généralement attendu que l’accord collectif organisant le recours au forfait en jours comporte des garanties permettant d’assurer le suivi et le contrôle de la charge et l’amplitude de travail des salariés concernés afin qu’elles soient raisonnables, c’est sous la responsabilité de l’employeur qu’elles doivent être mises en œuvre. Par conséquent, le non-respect de ces garanties empêche l’employeur de se prévaloir de la convention de forfait conclue et engage sa responsabilité sur le fondement de son obligation de sécurité.

Notre cabinet d’avocats a fait du droit du travail son domaine d’expertise ; vous pouvez nous contacter pour être conseillé et défendu dans le cadre d’un litige qui relève du temps de travail.

 

Poursuivez votre lecture sur l’encadrement du temps de travail

Conditions de la requalification du temps de travail en matière de trajet professionnel

La modulation collective du temps de travail dans l’entreprise s’impose au nouveau salarié

Contrat de travail à temps partiel : attention au risque de requalification en cas d’absence de répartition du temps de travail !

Conditions de la requalification du temps de travail en matière de trajet professionnel

En l’absence de nécessité de se conformer aux directives de l’employeur et d’impossibilité de vaquer à ses occupations, les temps de trajet entre l’hôtel imposé et les lieux d’accomplissement du contrat de travail pour un salarié en déplacement ne peuvent pas faire l’objet d’une requalification du temps de travail. Ces critères sont en revanche remplis pour le salarié contraint, sous peine de sanctions disciplinaires, de suivre un protocole contraignant dans un cours laps de temps pour rejoindre ses locaux de travail à partir de l’entrée du site d’une centrale nucléaire ; et ce quand bien même le règlement du site est imposé par le propriétaire de la centrale, et non par l’employeur lui-même.

Par deux arrêts du 7 juin 2023 (soc., n°21-12.841 et 21-22.445), la chambre sociale de la Cour de Cassation rappelle les critères fondamentaux du temps de travail effectif tirés de l’article L. 3121-1 du code du travail appliqués aux temps de trajet des salariés, pour ce qui concerne le trajet entre le domicile et le lieu de travail, dans des situations plus complexes qu’un classique déplacement entre le domicile habituel du salarié et un lieu de travail sans particularité.

Dans le premier arrêt, le salarié partant pour la semaine visiter en tant que « client mystère » des concessions d’experts en contrôle technique automobile était logé dans des hôtels désignés par l’employeur, loin de son domicile habituel. Dans le second, c’est l’arrivée sur le lieu d’exécution du contrat de travail qui posait la question de la requalification du temps de travail effectif, puisque le salarié devait suivre des directives de sécurités précises et contraignantes dès l’entrée du site de la centrale nucléaire au sein duquel les bureaux de la société l’employant sont situés.

 

Rappel des critères du temps de travail effectif

Pour mémoire, l’article L. 3121-1 prévoit trois critères cumulatifs et interdépendants :

  • Le temps de travail effectif est tout d’abord un temps à disposition de l’employeur, qui comprend donc les temps de présence contrainte, et même d’attente, sur un lieu de travail.
  • Il est aussi un temps de soumission aux ordres de l’employeur ; le temps à disposition doit donc être au moins implicitement demandé ou accepté par l’employeur.
  • Le temps de travail effectif est enfin un temps durant lequel le salarié est en impossibilité de vaquer librement à des occupations personnelles, ce qui s’entend généralement du temps durant lequel il doit se tenir prêt à répondre à toute demande d’intervention, à proximité de son lieu de travail.

En matière de temps de trajet classique entre le domicile du salarié et le lieu d’exécution de son contrat de travail, l’application de ces critères doit conduire à écarter le trajet du temps de travail effectif ; ce n’est pas un temps de disposition, le salarié n’étant pas tenu à un trajet précis ; il n’est d’ailleurs pas tenu de commencer son trajet depuis son domicile, puisque seul importe à l’employeur que le salarié soit à l’heure sur le lieu de travail. Ce n’est pas non plus un temps de soumission exigé par l’employeur ou implicitement accepté par ce dernier. Puisque le salarié n’est pas à disposition de l’employeur, il peut d’ailleurs vaquer à des occupations personnelles durant ce temps de trajet. En somme, le principe posé par l’article L. 3121-4 selon lequel « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif » peut se déduire des critères posés par l’article L. 3121-1 C. Trav.

 

Indifférence du caractère imposé du lieu faisant office de domicile pour le salarié en déplacement

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a ainsi vu son arrêt du 2 juillet 2021 (n° 19/00173) cassé en ce qu’elle a condamné un employeur au paiement d’un rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires comptabilisées sur la base des temps de trajets entre les hôtels dans lesquels le salarié – en déplacement pour des semaines entières afin de contrôler des concessions de l’entreprise – était tenu de séjourner, et les lieux d’exercice concret de son activité de contrôle des concessionnaires. Pourtant, il y a bien là une directive de l’employeur de séjourner à un endroit précis, dont les frais étaient d’ailleurs pris en charge par l’entreprise. Or la chambre sociale exige de différencier le trajet entre « domicile » et lieu de travail du trajet entre deux lieux de travail différents (Soc. 5 nov. 2003, n° 01-43.109 ; 31 mai 2006, n° 04-45.217). Plus explicitement, le trajet entre deux lieux de travail constitue un temps de travail effectif, selon une jurisprudence établie (Soc. 16 juin 2004, n° 02-43.685 ; 5 mai 2004, n° 01-43.918). Cela a probablement poussé la cour d’appel à raisonner en l’espèce sur la base d’un trajet qui s’initierait non pas depuis le domicile du salarié, mais depuis l’un des lieux de travail que lui a désigné l’employeur, vers un autre lieu d’exécution du contrat de travail.

Cependant, même en considérant que le salarié se voit imposé un lieu de domicile et suit pour cela les directives de l’employeur, cela ne peut transformer le lieu de séjour en lieu de travail au sens de la requalification du temps de travail effectif des trajets professionnels. Le critère de disposition n’est pas clairement rempli ; la présence dans l’hôtel n’est pas réellement contrainte, l’employé n’ayant pas de directive de présence effective liée à des horaires précis. Le critère d’impossibilité de vaquer à des occupations personnelles n’est pas plus validé que celui de disposition, le salarié pouvant disposer de son temps comme il le souhaitait, non seulement dans l’hôtel, mais surtout durant le trajet pour s’y rendre. La cour d’appel a ainsi privé sa décision de base légale en qualifiant ce temps de déplacement professionnel de temps de travail effectif, alors même qu’elle avait constaté que le salarié n’effectuait qu’une visite de concession par jour (il n’y avait donc pas de déplacement entre deux lieux de travail) et qu’il n’avait pas de directive de l’employeur qui l’empêchait de vaquer à des occupations personnelles au cours des trajets.

 

Requalification du temps de travail : importance des contraintes de déplacement sur les sites sécurisés

La Cour d’appel d’Orléans, pour rendre son arrêt du 29 octobre 2020 (n° 17/02488), avait au contraire entendu trop strictement les critères de requalification temps de travail effectif pour refuser cette qualification au temps de trajet du salarié depuis l’entrée du site de la centrale nucléaire jusqu’aux bureaux de l’employeur au sein de ce site, où se trouvaient les pointeuses. Il faut dire que dans cette optique, elle pouvait en apparence s’appuyer sur la jurisprudence, pour laquelle ni le port d’une tenue de travail particulière (Soc. 31 oct. 2007, n° 06-13.232), ni le fait de devoir se déplacer en navette vers le lieu effectif de travail à l’intérieur d’une enceinte sécurisée d’une infrastructure aéroportuaire (Soc. 9 mai 2019, n° 17-20.740) ne suffisait à considérer les trajets concernés pour la requalification du temps de travail effectif.

Pour rendre sa décision, la cour d’appel s’appuyait surtout sur le fait que le règlement intérieur du site de la centrale, qui déterminait des modalités de déplacements nécessairement strictes, était imposé par le propriétaire du site, et non par l’employeur qui n’occupait que des locaux dans l’enceinte. Si directives il y avait, elles ne provenaient donc pas de l’employeur lui-même. Ne pouvait-il point d’ailleurs vaquer à sa guise entre le poste d’accès principal et son propre bureau ?

Mais la chambre sociale qualifie expressément cet argument d’un règlement intérieur imposé par un autre que l’employeur comme source de motifs inopérants de la part de la cour d’appel, qui aurait dû prendre en compte les éléments fournis par le salarié :

  • celui-ci disposait de quinze minutes seulement pour « pointer au poste d’accès principal,
  • […] se soumettre à des contrôles de pratiques,
  • […] respecter toutes les consignes de sécurité en présence de brigades d’intervention,
  • […] respecter un protocole long et minutieux de sécurité pour arriver à son poste de travail », processus du fait duquel la possibilité de vaquer à ses occupations personnelles fait défaut.

Au demeurant, l’argument d’un règlement imposé par une personne extérieure à l’entreprise n’était pas opérant en lui-même, dès lors que le non-respect des consignes de ce règlement par le salarié était susceptible d’entraîner des sanctions disciplinaires infligées par l’employeur.

Plutôt que de se contenter de rapprocher le cas à une jurisprudence antérieure en apparence similaire, il demeure donc bien de l’office du juge d’appliquer les critères du travail effectif aux faits de l’espèce et de constater ici que les critères de disposition et de conformité aux directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles étaient bel et bien remplis.

Vous êtes employeur ou salarié à Carros dans les Alpes-Maritimes ? Vous pouvez prendre rendez-vous avec notre cabinet d’avocats spécialisé en droit du travail si vous avez un doute sur la méthode à employer pour le calcul du temps de travail effectif.

 

Poursuivez votre lecture sur la requalification du temps de travail

Temps de travail effectif : le temps de trajet peut-il être pris en compte ?

La modulation collective du temps de travail dans l’entreprise s’impose au nouveau salarié

Contrat de travail à temps partiel : attention au risque de requalification en cas d’absence de répartition du temps de travail !

Temps de travail effectif : le temps de trajet peut-il être pris en compte ?

La question de la définition du temps de travail effectif et de ses frontières a nourri et nourrit encore aujourd’hui un contentieux non négligeable. Ainsi rejaillit régulièrement la question de la porosité entre temps de travail effectif et temps de trajet professionnel, respectivement définis par les articles L.3121-1 et L.3121-4 du Code du travail.

La question se pose alors, avec une acuité renforcée, pour les salariés qui occupent des fonctions itinérantes sans être soumis à une convention de forfait en jours.

S’il est classique et aisément admissible que le temps de trajet pour se rendre d’un lieu de travail à un autre lieu de travail constitue un temps de travail effectif (Soc. 16 juin 2004, n°02-43.685).

Tel est moins le cas d’un trajet domicile-lieu de travail, en particulier lorsque ce dernier est variable, comme c’est le cas des salariés itinérants.

Ainsi, le temps de trajet d’un salarié commercial itinérant entre son domicile et ses clients en début et fin de poste doit-il être pris en compte dans le décompte de son temps de travail, lorsque le parcours de sa tournée commerciale est défini par l’employeur ? Telle était la question posée à la Chambre sociale de la Cour de cassation dans l’arrêt soumis à l’étude du 23 novembre 2022 (Soc. 23 nov. 2022, FP-B+R, N°20-21.924).

En l’espèce, un salarié recruté comme attaché commercial se rendait chez ses clients à l’aide du véhicule mis à disposition par son employeur.

Or, ce dernier réalisait une partie de ses communications téléphoniques professionnelles en kit main libre sur le chemin qui le menait de son domicile à son premier client puis de son dernier client à son domicile, sans que ce temps ne fasse l’objet d’une rémunération.

Ce qui conduit l’intéressé à saisir les juridictions prud’homales d’une demande en paiement d’un rappel de salaire à titre d’heures supplémentaires correspondant à ses temps de trajets de début et de fin de journée professionnelle accompagnant une demande en résiliation judiciaire.

Les juges du fond firent droit à ses demandes en considérant que ces deux trajets journaliers correspondaient effectivement à du temps de travail effectif devant être rétribué en tant que tel.

L’employeur, insatisfait de cette décision, forma un pourvoi en cassation, que la chambre sociale va rejeter au terme d’un raisonnement construit sur la définition du temps de travail.

 

Reprécisions sur la définition du temps de travail

L’article L.3121-1 du Code du travail définit le temps de travail effectif comme le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

Sa frontière avec le temps de déplacement professionnel est elle-même identifiée au sein du même code à l’article L.3121-4 qui précise que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif, bien qu’il doive faire l’objet d’une compensation lorsqu’il excède le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu de travail.

Ainsi, la situation des travailleurs qui n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel a également pu faire l’objet d’une prise d’une position de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) considérant que constituent du « temps de travail » le temps de déplacement que ces travailleurs, tels que celui de l’espèce considérée, consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client désignés par leur employeur.

 La Chambre sociale de la Cour de cassation va considérer que le fait que la CJUE retient que les notions de « temps de travail » et de « période de repos » constituent des notions de droit de l’Union qu’il convient de définir de façon autonome, selon les caractéristiques objectives, dont les Etats membres ne sauraient déterminer unilatéralement la portée.

La Chambre sociale va aussi rappeler sa propre jurisprudence qui considérait que le mode de rémunération des travailleurs dans une situation dans laquelle les travailleurs n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel et effectuent des déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et dernier clients désignés par leur employeur relève, des dispositions pertinentes du droit national et qu’en application de l’article L.3121-4 du Code du travail, le temps de déplacement qui dépasse le temps normal de trajet, qui n’est pas du temps de travail effectif, doit faire l’objet d’une contrepartie, soit sous forme de repos, soit sous forme financière (Soc. 30 mai 2018, n°16-20.634).

 

Un temps de trajet peut être du temps de travail effectif

La Cour de Cassation affirme dans le présent arrêt un infléchissement, en considérant désormais que, lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premiers et derniers clients répondent à la définition du temps de travail effectif, ces temps ne relèvent pas du champ d’application de l’article L.3121-4 du Code du travail.

En l’espèce, le salarié devait, en conduisant, pendant ses déplacements, grâce à son téléphone portable professionnel et son kit main libre, dans le véhicule mis à sa disposition par la société, être en mesure de :

  • fixer des rendez-vous,
  • appeler et répondre à ses divers interlocuteurs, clients, directeur commercial, assistantes et techniciens.

Il exerçait des fonctions de « technico-commercial » itinérant, ne se rendait que de façon occasionnelle au siège de l’entreprise pour l’exercice de sa prestation de travail et disposait d’un véhicule de société pour intervenir auprès de ses clients de l’entreprise répartis sur sept départements éloignés de son domicile. Cela le conduisait, parfois, à la fin d’une journée de déplacement professionnel, à réserver une chambre d’hôtel afin de pouvoir reprendre, le lendemain, le cours des visites programmées.

 Il était alors manifeste aux yeux des juges que pendant les temps de trajet ou de déplacement entre son domicile et les premier et dernier clients, l’intéressé devait se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

Ainsi, ces temps de déplacement devaient être qualifiés de temps de travail effectif et épouser le régime juridique dédié, y compris en termes de rémunération.

De ce fait, la posture de la Chambre sociale demeure ici nuancée, en ce qu’il faudra procéder à un premier travail de qualification autour de la définition du temps de travail effectif, sans pouvoir invoquer l’automaticité de la reconnaissance en temps de travail effectif des temps de trajets de début et de fin de poste commerciaux itinérants.

Seule une étude des sujétions pesant sur le salarié pendant ces trajets permettra alors d’en déduire, comme le montrait l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt, la qualification de temps de travail et la déduction des conséquences indemnitaires correspondantes.

 

Notre cabinet d’avocats spécialisé dans le droit du travail intervient sur toute la Côte d’Azur. N’hésitez pas à prendre rendez-vous pour toute affaire relevant du calcul du temps de travail effectif.

 

Poursuivez votre lecture sur le calcul du temps effectif de travail

Déplacement professionnel et temps de travail jugé par la Cour de Cassation

La contrepartie au dépassement du temps normal de trajet domicile-travail doit être suffisante

Si l’employeur ne prouve pas la durée de travail convenue, le temps partiel est réputé à temps plein

Décompte des heures supplémentaires et charge de la preuve : mode d’emploi

Perçu comme une variable d’ajustement, le décompte des heures supplémentaires est particulièrement propice aux contentieux dès lors que les heures représentent un enjeu tout à la fois économique (adaptation aux fluctuations de l’activité), humain (fatigue physique et mentale) et financier (majoration des heures supplémentaires). Par deux arrêts rendus le 14 décembre 2022, la Chambre sociale avait l’occasion de mettre en voix ses exigences quant au mode de preuve des heures supplémentaires (n°21-18.139 et 21-18.036).

Dans les deux affaires soumises à l’étude, la juridiction prud’homale avait été saisie de demandes en paiement d’un rappel d’heures supplémentaires. Il s’agissait :

  • D’une animatrice en centre équestre,
  • Des ayants droits d’un ingénieur d’études s’étant donné la mort sur le trajet entre son domicile et son lieu de travail.

A l’appui de sa demande, l’animatrice produisait des agendas professionnels dont elle indiquait s’être servie pour l’exercice de son activité au sein du centre équestre, avec des annotations quant aux taches qu’elle précisait avoir effectuées en journée. Elle avait également transmis des témoignages de cavaliers et d’adhérents fréquentant le centre et de décompte des heures supplémentaires hebdomadaires sur la période en litige.

Les ayants droits de l’ingénieur, quant à eux, faisaient valoir plusieurs documents :

  • Tableaux de décomptes des heures supplémentaires,
  • Rapport de l’inspection du travail donnant les heures de début et fin de travail du salarié et faisant état d’une amplitude journalière de travail considérable et quasi-permanente,
  • Relevés de mails envoyés tardivement par le salarié sur une période donnée,
  • Diverses attestations

En appel, les juges considéraient que les pièces fournies ne contenaient pas d’éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que les salariés auraient accomplies pour permettre à l’employeur d’y répondre en fournissant ses propres éléments.

Tel n’est pas l’avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui accueille chacun des pourvois. Au contraire de la Cour d’Appel, la Haute juridiction estime que les demandeurs « présentaient des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre ». En raisonnant comme elle l’avait fait, la Cour d’appel avait injustement fait peser la charge de la preuve sur le salarié seulement.

Ainsi, s’agissant de la salariée engagée en qualité d’ « enseignant- animateur » ; les juges d’appel estimaient qu’aucune crédibilité ne pouvait être accordée aux agendas et que les tableaux récapitulatifs établis par l’intéressée étaient dénués de toute valeur probante. De plus, les attestations communiquées étaient trop générales dans leur contenu et sans indications exploitables relativement aux dépassements d’horaires allégués.

Concernant l’ingénieur d’études, la Cour d’Appel avait jugé que le tableau de décompte des heures supplémentaires produit était insuffisant en ce qu’il se contentait d’affirmer, semaine après semaine, que le salarié travaillait systématiquement 56h25, sans mentionner les heures accomplies. De plus, ses attestations indiquant que le salarié travaillait beaucoup ne permettaient pas, selon elle, de connaitre les horaires réellement effectués par celui-ci. Pas plus que le rapport de l’inspection du travail visant les heures de début et de fin de travail du salarié sur quelques jours non consécutifs puisqu’il ne s’agissait pour les juges que d’ « exemples disséminés ».

Cependant, la charge de la preuve n’incombe pas exclusivement au salarié. Pour la Cour de Cassation, les pièces produites dans les deux cas auraient dû conduire les juges d’appel à considérer la demande de rappel d’heures supplémentaires.

De ce fait, en se référant au Code du travail et à son article L.3171-4, il est simplement attendu du salarié qu’il crée les conditions d’un débat contradictoire en fournissant des données relativement précises, exploitables et circonstanciées de nature à justifier la réalisation des heures supplémentaires revendiquées. A partir de là, l’employeur doit apporter des éléments concordants afin de contester la version donnée par le salarié.

C’est donc sur cette base, et après avoir mis en balance les preuves fournies par les parties, que le juge doit former sa conviction, et non à la lumière des seules pièces communiquées par le salarié.

Ainsi, ces deux arrêts permettent tout à la fois d’illustrer et de relativiser le degré d’attente qui pèse sur le salarié.

Une trop grande exigence à son égard, contraint de fait, le salarié à démontrer pleinement la réalisation d’heures supplémentaires et tend à minimiser les obligations de l’employeur en matière de décompte des heures supplémentaires.

À l’inverse, une position raisonnée, permet de responsabiliser l’employeur quant au suivi de la charge de travail et lui impose inévitablement une plus grande rigueur quant aux outils mis en place à cet effet.

 

Le cabinet d’avocats S. Jourquin à Nice, spécialisé en droit du travail, conseille et défend ses clients sur les affaires relevant de l’application des conventions collectives.

 

Poursuivez votre lecture sur le décompte des heures supplémentaires :

Les heures supplémentaires comptabilisées par pointage informatique sont autorisées par l’employeur

La Cour de Cassation assouplit au bénéfice du salarié la charge de la preuve des heures supplémentaires réalisées

Comment prouver l’existence d’heures supplémentaires

Convention de forfait jours et modalités de suivi de la charge de travail : les carences de la CCN des commerces de détails non alimentaires

Conçu comme un outil d’aménagement individuel du temps de travail sur l’année, le forfait annuel en jours ou en heures permet aux salariés qui disposent d’une certaine autonomie dans l’organisation de leurs tâches de moduler la durée et l’horaire de travail sur une période de référence de douze mois, et ce, afin de tenir compte des fluctuations de l’activité. Sa mise en oeuvre peut receler quelques nuances, notamment avec la CCN des commerces de détails non alimentaires.

Pour autant, cela ne dispense pas l’employeur de ses obligations quant à l’évaluation et au suivi régulier de la charge de travail du salarié. L’employeur reste en effet le garant de la santé de ses salariés et doit à ce titre s’assurer que l’organisation du temps de travail par le salarié est équilibrée et raisonnée.

Pour cela, il est en principe attendu des employeurs qu’ils fixent les termes et conditions d’un suivi opérationnel de la durée du travail. Lorsqu’ils ne garantissent pas formellement le respect des durées raisonnables du travail, des repos journaliers et hebdomadaires, la convention de forfait jours encourt la nullité et est inopposable au salarié.

Dans un arrêt du 14 décembre 2022, la chambre sociale nous en livre un bel exemple s’agissant de la convention de forfait annuel en jours prévue par la convention collective nationale des commerces de détails non alimentaires.

En l’espèce, un salarié recruté en qualité de vendeur puis promu directeur de magasin avait signé une convention de forfait annuel en jours, conclue sous l’empire des anciennes dispositions du Code du travail (C. trav., art. L.212-15-3 anc.) et sous l’égide de la CCN des commerces de détails non alimentaires du 9 mai 2012.

En 2017, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale afin de solliciter le prononcé de l’inopposabilité de la convention forfait en jours, la résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que le paiement de diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.

Le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement en mai 2019.

Pour les juges d’appel, les dispositions conventionnelles comportaient un certain nombre de limites et de garanties en termes de droit au repos et prévoyaient un contrôle réel en nombre de jours travaillés. Sa convention collective, la CCN des commerces de détails non alimentaires, précisait notamment qu’un décompte des journées travaillées et de repos devait être établi mensuellement par l’intéressé et validé par l’employeur. A cette occasion un suivi devait être fait par ce dernier.

Toutefois, les faits de l’espèce laissaient entrevoir un contrôle plus ou moins déficient. La société se contentait d’adresser un message au mois d’août à l’ensemble des magasins afin d’ajuster les plannings dans le respect du forfait annuel pour le reste de l’année. De plus, les conditions de forfaits jours étaient seulement « évoquées » lors de l’entretien annuel.

Selon la chambre sociale, le dispositif formalisé par la branche d’activité est insuffisant et ne permet pas « d’instituer de suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable » de travail.

Par conséquent, le cadre institué par la CCN des commerces de détails non alimentaires « n’est pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail » du salarié.

La convention de forfait jours encourrait donc la nullité et était réputée inopposable au salarié.

Ainsi, la Haute juridiction, se retranchant derrière des textes qui sanctifient le droit à la santé et au repos du salarié (le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946…), permet dorénavant à l’employeur, de pallier l’insuffisance ou l’imprécision des dispositions conventionnelles et de sécuriser les conventions de forfait jours conclues sur la base d’un accord carencé (C. trav., art. L.3121-65).

Pour cela, il doit organiser lui-même un suivi effectif de la charge de travail afin d’intervenir si les circonstances font apparaitre une organisation lacunaire et déséquilibrée du temps de travail.

 

Le cabinet d’avocats S. Jourquin à Nice, spécialisé en droit du travail, conseille et défend ses clients sur les affaires relevant de l’application des conventions collectives.

 

Poursuivez votre lecture sur les dispositions collectives :

Nouveau régime du forfait annuel en jours SYNTEC

La modulation collective du temps de travail dans l’entreprise s’impose au nouveau salarié

Critères d’ordre en cas de licenciement économique

Go to Top